Bruno Le Maire : Plus que la droitisation, la droite risque la ringardise !

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"Le renouveau est une attente profonde des Français. (...) Nous devrions avoir un temps d'avance : la société française a beaucoup changé !" Interviewé le 3 mars 2015 par la Tribune de Genève, Bruno Le Maire est revenu sur la nécessité pour la droite de présenter enfin de nouvelles idées et de nouveaux visages. 


« Le renouveau, c’est Bruno! » Fidèle à ce slogan qui synthétise ses idées, et qui lui a offert 30% des voix lors de l’élection à la présidence de l’UMP, Bruno le Maire se frotte à Nicolas Sarkozy. L’ex-ministre de l’agriculture du gouvernement Fillon et ex-directeur de cabinet de Dominique de Villepin est la figure qui monte parmi les quadras de l’UMP. A 45 ans, il se pose en parangon d’une droite gaulliste, fière, qui revendique la puissance pour la France et assume ses positions. De passage à Genève aujourd’hui, il y rencontre l’ex-secrétaire général des Nations-Unies Kofi Annan et participe à un dîner-débat. L’occasion de rencontrer les « nombreux Français de Genève. Je considère qu’ils font partie de la communauté nationale, qu’ils ont des idées et qu’ils font des propositions. Qu’il faut donc échanger avec eux le plus régulièrement possible », glisse Bruno le Maire. Interview de celui qui veut bousculer la donne à droite.


Vous dites connaître la Suisse, quel outil politique suisse pourrait vous intéresser ?

Deux idées me tiennent à cœur. La première, c’est la simplicité du droit du travail suisse. C’est un modèle! Deuxièmement, la votation populaire sur beaucoup de sujets est une manière de rendre le pouvoir au peuple. C’est quelque chose qui peut servir d’exemple à beaucoup de démocraties.


Et pourquoi ne pas introduire des élections à la proportionnelle complète? Histoire d’assurer une représentativité de toutes les idées de la société, fut-ce celle du FN ?

Cela rendrait la France ingouvernable. Ce système, nous l’avons déjà connu sous la IVe République. L’instabilité gouvernementale était permanente. Aujourd’hui, nous avons besoin de stabilité, de lisibilité dans les décisions et de clarté. Cela n’est pas compatible avec la proportionnelle.


En Suisse pourtant les extrêmes, le plus souvent, se fondent dans le consensus et nuancent leur propos dès qu’elles participent à la responsabilité du pays, du canton ?

Le pouvoir cela ne se donne pas, cela se prend. Et c’est à ceux qui ont de bonnes idées, de bons candidats, d’aller vers les Français pour qu’ils les choisissent. C’est pour cela que je suis opposé au Front républicain: car c’est une manière de dire, il y a ceux qui sont dans la République et ceux qui n’y sont pas. C’est une erreur! Tout le monde est dans la république mais il faut les meilleurs, les plus convaincants pour gouverner le pays.


N’y a-t-il pas de différence à vos yeux entre le PS et le FN ?

Si, je reconnais bien volontiers qu’il y a une différence entre le Parti socialiste et le Front national. Ce ne sont pas les mêmes racines idéologiques ni la même histoire. Mais le FN est la première menace pour l’UMP. Est-ce qu’on le combat en appelant à voter pour nos adversaires socialistes? Clairement non! C’est une faute politique que d’appeler à voter PS dans le Doubs ou ailleurs pour s’opposer au FN. Quand vous faites cela vous nourrissez, soutenez et alimentez le Front national. La bonne réponse est de laisser les électeurs libres. Et l’UMP doit être dans une posture de combat contre le gouvernement socialiste qui n’est pas suffisamment efficace et de combat contre le Front national pour montrer qu’il n’a aucune solution peut améliorer la vie des gens.


Les sondages donnent le FN en tête des partis. Pourquoi plaît-il ?

La majorité des Français sait parfaitement que le modèle économique et social sur lequel nous vivons est dépassé. Quand est-ce qu’on va nous proposer quelque chose de nouveau, qui va redonner de la puissance à la nation française, qui va redonner un emploi à chacun? Alors que, depuis 40 ans, on s’est résigné au chômage en France. Tant que la droite à laquelle j’appartiens n’apparaît pas comme une alternative crédible, le FN continuera à monter. Nous serons crédibles seulement si nos propositions sont fortes et si nos pratiques politiques changent. J’ai malheureusement peur que, dans ma famille politique, on ne l’ait pas encore compris.


Faut-il changer les pratiques politiques ou les personnes ?

La plus belle victoire politique que nous ayons eue depuis des années est celle des municipales de mars 2014. Il y a un an! Cette victoire a été le fait de candidats nouveaux, jeunes souvent, qui ont créé la surprise partout dans le pays. Quand vous proposez des têtes nouvelles, cela convainc les Français.


Le FN parle d’UMPS. Dans «Le Figaro», Nicolas Sarkozy a parlé de FNPS. Au final, il faudra choisir. Est-ce qu’une coalition avec le PS serait envisageable ?

En politique, il y a un maître mot: la clarté. Mais le Parti socialiste n’est pas au clair sur ses propres idées. Il est déchiré entre un parti resté très à gauche et un parti social-démocrate. La droite, elle, doit se recomposer autour de ses idées, de ses valeurs et de son électorat.


L’UMP, elle aussi, est tiraillée par des courants…

Le vrai problème de l’UMP n’est pas celui de la droitisation ou de la division sur les idées. En réalité, il y a peu de divisions idéologiques à l’UMP. Le vrai risque pour l’UMP, c’est la ringardise. De revenir avec des slogans tout faits. Lorsqu’on se contente de dire: il faut supprimer les 35 heures, renforcer les lois sur l’immigration et un troisième slogan sur n’importe quel autre sujet du jour…


Et vous proposez ?

Nous devrions avoir un temps d’avance : la société française a profondément changé. Regardez les 35 heures, nous sommes tous favorables à la proposition de Nicolas Sarkozy (ndlr: lundi dans le Figaro) de négocier le temps de travail entre les chefs d’entreprise et les salariés au niveau des entreprises. Très bien, et on peut aussi se demander pourquoi on ne l’a pas fait plus tôt? Le véritable problème pour les entreprises, c’est plutôt le droit du travail, la complexité administrative et celle des contrats de travail qui interdit, par exemple, d’embaucher des jeunes de peur qu’ils ne correspondent pas aux attentes. C’est de cela dont il faut parler en priorité.


Vous êtes bien en train de me dire que quand un ancien homme politique revient et prétend avoir changé, il est inaudible ? Nicolas Sarkozy pour ne pas le nommer.

Je vous dis simplement que le renouveau est une attente profonde des Français.


L’avenir, c’est la présidentielle 2017. Serez-vous candidat à la primaire UMP et pourquoi ? 

Vous aurez la réponse à la fin de l’année 2015 ou au début de l’année 2016. L’année 2015 sera collective. La candidature à la primaire de l’UMP est un point d’aboutissement. Si je suis prêt, je le dirai le moment venu. C’est important de ne pas se précipiter. 


M. Le Maire, vous êtes prêt ! Vous êtes déjà plus âgé qu’Angela Merkel et David Cameron lorsqu’ils ont accédé à leur poste. 

C’est gentil de me le rappeler (rires)… C’est important de rappeler une chose toute simple que beaucoup d’électeurs de droite ont oubliée: la présidentielle a lieu en 2017. C’est-à-dire dans deux ans. C’est long. 


Qu’est-ce qui vous différencierait des autres candidats UMP déclarés à la présidentielle de 2017 ?

Mon enthousiasme. 


Vous vous présentez aussi comme écrivain. Vous êtes une illustration de cette France littéraire et cultivée que le monde envie. Mais en ce moment, la France n’a-t-elle pas besoin d’un entrepreneur, d’un homme d’action, d’un politicien qui connaisse l’économie ? 

C’est un vrai choix. J’aime beaucoup l’économie et j’y accorde beaucoup d’importance. Mais le rôle d’un responsable politique, c’est d’abord d’incarner une nation, avant d’incarner des solutions économiques. Pour moi, la nation française c’est avant tout une langue. Une des clés de l’unité est la maîtrise de la langue. Aussi, je revendique d’être à la fois homme politique et écrivain. 


En Suisse, un homme politique de droite qui ne viendrait pas de l’économie privée aura du mal à être audible. Pourquoi en France, faut-il être littéraire pour incarner son pays ? 

Pour être ministre de l’Economie et des finances, c’est très bien d’avoir une vraie expérience dans l’entreprise. Mais je ne suis pas candidat à devenir ministre de l’Economie ou des finances. Les réponses que l’on doit apporter aux Français ne se limitent pas à des instruments économiques. 


Justement, il y a cette idée de la France que j’entends souvent résumée par cette formule: «parce que la France est la France!» Expliquez-nous cette pensée tautologique ? 

(Rires). C’est une pensée très gaulliste de dire «la France est la France et restera toujours la France». Moi, je crains que la France devienne autre chose que la France. C’est pourquoi moi je veux restaurer une puissance nationale. La puissance doit être économique qui permette à chacun de vivre bien de son travail. La puissance doit être culturelle en affirmant la langue française, la culture française, le cinéma français, les beaux-arts français. La puissance nationale signifie aussi une éducation qui permette à chacun de réussir quel que soit le milieu dont il vient. Et c’est l’un des échecs majeurs de la France d’aujourd’hui. La puissance doit aussi être militaire, car capable de défendre nos intérêts et nos valeurs à l’étranger. On le voit bien aujourd’hui face à la menace islamiste. Pour moi, la France, c’est la restauration d’une puissance nationale française dans toutes ses composantes. Cela crée l’adhésion. Tous les jeunes, nés en France ou ailleurs, qui veulent vivre en France, adhéreront à un pays qui a un projet, une puissance, une fierté nationale.