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Une communication du MIL

CHABAN-DELMAS, DEBRÉ, FOCCART… CES LIEUTENANTS DU GÉNÉRAL DE GAULLE QUI ONT RÉGNÉ SUR LA DROITE


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Entretien avec Pierre Manenti, historien du gaullisme et de la Cinquième République, pour la sortie de son livre «Les barons du gaullisme» (Passés composés, 2024). Il est déjà auteur d’une «Histoire du gaullisme social» (Perrin, 2021) et d’une «biographie d’Albin Chalandon» (Perrin, 2023).


Le Figaro – Vous consacrez votre dernier livre aux «barons du gaullisme». Qui sont-ils ? Quel est leur rôle auprès de De Gaulle ?


Pierre Manenti – Les barons du gaullisme désignent un groupe d’une demi-douzaine de personnalités politiques qui avaient pris l’habitude de se réunir régulièrement, ainsi autour de déjeuners organisés tous les quinze jours, Maison de l’Amérique latine, à Paris, pour organiser la vie du gaullisme. Ils étaient les hommes de l’ombre du général de Gaulle, à la fois ses conseillers les plus proches et ses émissaires dans toutes les négociations. Gaston Palewski, Michel Debré, Jacques Chaban-Delmas, Roger Frey, Jacques Foccart et Olivier Guichard agissaient en chefs des groupes parlementaires à l’Assemblée nationale et au Sénat, mais aussi en organisateurs des réseaux territoriaux, clubs et mouvements gravitant autour des partis gaullistes (le RPF sous la IVe République, l’UNR-UDR sous la Ve). Entre 1947 et 1995, ils sont incontournables dans l’histoire de la droite et ont d’ailleurs donné deux premiers ministres au pays, ainsi que plusieurs ministres, ce qui a suscité beaucoup de fantasmes autour de leur petit cercle. Ils sont aussi un réseau aux contours mouvants en fonction des époques, ce qui fait que leurs déjeuners ont parfois été fréquentés par des personnages au destin national, ainsi André Malraux, Georges Pompidou ou encore Pierre Messmer.


Gaston Palewski, Jacques Chaban-Delmas, Jacques Soustelle… Le «système des barons» s’ancre-t-il dans une participation commune à la Résistance, plus que dans un corpus idéologique ?


Ce qui lie les barons du gaullisme, c’est d’abord et avant tout leur fidélité sans faille au général de Gaulle. Vous évoquez d’ailleurs le nom de Jacques Soustelle, immanquablement un baron du gaullisme sous la IVe République, mais qui se dispute avec de Gaulle sur l’Algérie française en 1960, s’exile et perd ce titre dès lors qu’il rompt son serment de fidélité. Ce sont véritablement des «croisés à la croix de Lorraine» pour reprendre une formule du Général. Ils le représentent, portent sa parole, lui font aussi parfois entendre raison, n’hésitant pas à lui tenir tête, comme lorsqu’ils poussent Chaban à la présidence de l’Assemblée nationale en 1958.


De Gaulle les estime, parce que ce sont des compagnons d’armes, des chevaliers de la Table ronde. Tous sont bardés de titres de guerre et ont participé aux combats de la Résistance, avec une nuance pour le plus jeune d’entre eux, Guichard, qui a néanmoins été engagé dans les armées de la Libération. Dans la guerre et la Résistance, les barons puisent surtout un culte du secret, de l’information, du renseignement, dont ils se servent ensuite comme une arme politique pour tenir la famille gaulliste. Il y a beaucoup de mystères qui entourent les barons et leurs déjeuners, c’est pourquoi je voulais enquêter sur la réalité de leur parcours et de leurs réseaux.


Une légende noire entoure Jacques Foccart, le Monsieur Françafrique, vu comme un personnage sulfureux se chargeant des basses œuvres du régime. Qui était-il ? La légende est-elle fondée ?


Le personnage de Jacques Foccart est fascinant parce que c’est un fidèle parmi les fidèles, qui rejoint l’aventure du gaullisme dès 1946, en «poussant» la liste d’un proche du Général dans la Mayenne, Jacques Soustelle. Devenu membre du RPF en 1947, il gravit les échelons un à un, se spécialisant en effet sur les questions africaines et antillaises, mais s’imposant aussi comme un homme de réseaux, un négociateur habile et un politique féroce. De Gaulle lui confie d’ailleurs le secrétariat général de son parti en 1954, avant de l’appeler à ses côtés à Matignon en 1958 puis à l’Élysée en 1959, après que Foccart a joué un rôle important pendant les événements de mai 1958. Le personnage est craint autant qu’il est respecté. C’est un faiseur de princes, très bon connaisseur de la carte électorale, auquel le Général accorde une audience tous les soirs, ce qui lui donne un pouvoir énorme à l’époque. Et pendant quinze ans, en même temps qu’il règne sur la Françafrique aux côtés du Général puis de Pompidou, Foccart suit toutes les élections, toutes les nominations internes au parti gaulliste, toutes les négociations, s’imposant comme un véritable baron du gaullisme ! Pour autant, il ne faut pas croire à tout ce qui a pu être dit ou écrit sur le personnage. Comme beaucoup, il tire sa force politique de sa légende noire.


Parmi les barons, Michel Debré semble être l’éminence grise et le continuateur de De Gaulle. Vous l’appelez «l’architecte» …


Oui, à rebours de profils plus axés sur le renseignement et les réseaux, comme Jacques Foccart ou Roger Frey, ou de politiques aguerris, à l’image de Jacques Chaban-Delmas, député-maire de Bordeaux et président de l’Assemblée nationale, Michel Debré fait figure d’intellectuel de la bande. Auteur d’une thèse sur l’artisanat, maître des requêtes au conseil d’État, collaborateur de cabinet ministériel de Paul Reynaud sous la Troisième République, c’est un touche-à-tout, qui s’affirme comme un conseiller précieux pour le général de Gaulle lorsqu’il le fait venir à ses côtés au Gouvernement provisoire, en 1944-1946.


La vision de Debré, ses intuitions, sa volonté réformatrice – il est le père de l’École nationale de l’administration à la Libération ! – se doublent d’une «carte politique» lorsqu’il est élu sénateur, président du groupe gaulliste au Palais du Luxembourg, et s’impose comme un opposant farouche à la IVe République. C’est à cet architecte que de Gaulle confie le soin de bâtir sa cathédrale en 1958, en le chargeant de la rédaction de la constitution de la Ve République puis des fonctions de premier ministre. Et fidèle à cette confiance, Debré a longtemps voulu défendre cet héritage gaulliste face à toute tentative de récupération, jusqu’à se présenter lui-même à l’élection présidentielle de 1981, contre le candidat pourtant désigné par sa famille politique : Jacques Chirac.


Les barons du gaullisme ont défini le gaullisme après la disparition de De Gaulle. Peut-on être gaulliste sans avoir connu le Général ? Y a-t-il encore des gaullistes aujourd’hui ?


Oui, d’ailleurs, paradoxalement, les barons ne sont jamais aussi puissants qu’en l’absence du Général. Ils se réunissent dans les années 1950, quand de Gaulle a pris du champ, car il faut faire vivre le parti, ses réseaux, malgré l’absence du grand chef. Quand de Gaulle quitte la scène politique en 1969, ils deviennent des gardiens du temple, qui adoubent Georges Pompidou, candidat à l’élection présidentielle, et imposent à ses côtés Jacques Chaban-Delmas comme premier ministre. L’échec de Chaban à la présidentielle de 1974, la nomination à Matignon de Jacques Chirac puis sa reprise en main du parti gaulliste la même année marginalisent cependant les barons. Ils ne tiennent plus leur propre famille, ce qui ne les empêche pas de poursuivre le combat au nom d’une certaine idée du gaullisme.


En fait, de chefs politiques, ils deviennent progressivement des défenseurs de la mémoire gaulliste, raison pour laquelle, au fur et à mesure des disparitions, l’appellation de «barons du gaullisme» a été attribuée à d’autres grandes figures de l’aventure comme Albin Chalandon ou Yves Guéna. Il ne reste plus beaucoup de contemporains de la période, à l’exception de Jacques Trorial, dernier ministre du Général encore en vie, ou de Pierre Mazeaud, mais pour autant la flamme du gaullisme continue de brûler avec intensité. Son désir de dépassement des clivages, son combat pour la souveraineté nationale, son souci d’une réconciliation des patrons et des ouvriers sont des défis d’une actualité criante et me font dire que le gaullisme a encore toute sa place dans notre vie politique !


Pierre Manenti - Les barons du gaullisme, éd. Passés composés, 2024, 368 p., 24€.


Repris du Figaro du 30 janvier 2024.