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Une communication du MIL

IL FAUT UNE PEINE DE RÉCLUSION PERPÉTUELLE INCOMPRESSIBLE RÉELLE


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Après la disparition récente d'un ancien ministre socialiste de la justice, nous avons constaté qu'il n'existait plus qu'une seule analyse sur la peine de mort. Même si nous savons qu'aucun pouvoir (de droite, de gauche ou d'ailleurs) ne remettra en cause la suppression de la peine de mort, ce débat est clos. Sauf qu'elle devait etre remplacé par une peine de réclusion perpétuelle incompressible réelle, ce qui n'est toujours pas le cas.


Afin d'apporter notre contribution à ce sujet, nous republions le texte que Raoul Béteille, ancien président du MIL de 1994 à 2008 puis président du comité d'honneur de 2008 jusqu'à son décès le 18 avril 2015, avait publié dans notre journal Vigilance & Action (N°23) de décembre 1988 et aussi dans le journal Le Quotidien de Paris.



POUR LA PEINE DE MORT par RAOUL BETEILLE

Conseiller à la Cour de cassation, membre du Comité d'Honneur du M.I.L


Monsieur Raoul Béteille apporte un argument nouveau dans ce débat : une étude criminologique américaine prouve, pour la première fois, que la peine de mort a un effet dissuasif. Il est certain que ce travail servira de fondement aux discussions à venir.


Ignorée jusqu'ici de l'auteur de ces lignes en raison de l'endroit où il fallait la chercher, l'étude d'un savant, Isaac Ehrlich, jette une vive clarté sur un des aspects essentiels de la controverse opposant partisans et adversaires de la peine de mort et relancée par les massacres d'enfants de ces derniers mois.


Sous le titre de «The Deterrent Effect of the Capital Punishment, a Question of Life and Death», Ehrlich a publié en juin 1975 dans «l'American Economic Review», dont les signatures sont très souvent celles de prix Nobel, un travail considérable, conduit selon une méthode économétrique rigoureuse et éprouvée tenant compte en particulier «des effet pervers». Il démontre qu'aux États-Unis, pendant la période de référence choisie, qui s'étend sur plus de trente-cinq ans, chaque exécution a «économisé» un capital de vies de victimes innocentes qui se situe avec certitude entre un et dix-sept sans qu'il soit possible de le chiffrer de manière précise dans cette «fourchette». Il en résulte que si, bien entendu, l'existence de la peine de mort ne fait pas reculer tous les candidats au crime, elle en fait bel et bien reculer un certain nombre contrairement à ce que soutiennent ceux que nous continuerons d'appeler par commodité les «abolitionnistes». On pouvait, certes, s'en douter. On se souvient que, dans le Liban encore relativement en bonne santé, le président Frangié avait résolu d'entreprendre une lutte efficace contre la criminalité grandissante et - premières exécutions depuis très longtemps - avait fait pendre deux gangsters. Résultat : 171 crimes de sang contre 507 l'année d'avant, soit 1970.


Même si nous devions nous contenter de l'économie d'une vie de victime par exécution (et non pas des dix-sept tout aussi possibles ou d'un chiffre intermédiaire, étant observé que la «moyenne» n'aurait ici aucune signification), il résulte de l'étude scientifique d'Ehrlich qu'il faut finalement choisir entre ceux qui meurent parce que la peine de mort leur est infligée quand elle existe, et ceux qui meurent parce que les précédents (ou ceux qui ne craignent plus de suivre leur exemple ) tuent quand elle a été supprimée.


Nous n'avons pas le droit d'en conclure que l'attitude des abolitionnistes n'est pas respectable. L'idée selon laquelle l'homme doit s'interdire absolument et dans tous les cas de verser le sang de son semblable est peut être aussi exacte que paradoxalement cruelle dans certains de ces cas. Mais cruelle, dans ces certains cas, elle l'est : quels sont, des deux catégories ci-dessus, ceux dont la vie est la plus précieuse ? Et où est, à vrai dire, la générosité dont sont crédités si facilement les abolitionnistes ? Les victimes ont bon dos.


Statistiques mises à part, restent les consciences choquées, le sentiment d'une injustice foncière, le scandale qui veut que les tortionnaires des petites filles assassinées dans notre France de 1988 trouvent en haut lieu de grandes âmes soucieuses surtout de ne pas être confondues avec des «bourreaux» et avant tout préoccupées de procurer à ces violeurs d'enfants boissons fraîches en été, télévision et chambre d'amour, tandis que les petites torturées, qui les suppliaient en pleurant, sont au cercueil.


Comment certains peuvent-ils assimiler de tels abîmes d'horreur aux deuils, même les plus douloureux, qu'entraînent les accidents de la route ? Aucune mère ne ferait la confusion, et il est impossible d'entendre les mères d'enfants assassinés sans être remué par une compassion qui en vaut d'autres. Il est remarquable que leurs réactions soient rares, ou du moins rarement publiées dans la presse. C'est pourquoi, en s'écartant de l'actualité trop brûlante, on signalera à ceux qui ne l'auraient pas lue l'admirable et poignante interview de madame Ginette Prin par Dominique Jamet dans le «Quotidien de Paris» du 21 mars 1980 : «Pardonner, mais je ne peux pas». On se bornera à dire ici que madame Prin se posait la question de savoir si le mieux, en fin de compte, n'était pas «que la bête meure». Car elle voyait bien «qu'on demande aujourd'hui l'abolition de la barbare peine de mort, avilissante pour qui l'inflige, inhumaine pour qui la reçoit, et qu'on suggère son remplacement par une peine de réclusion perpétuelle incompressible, mais que demain on demandera l'abolition de la perpétuité, cette peine inhumaine, barbare, et la suppression des quartiers de haute sécurité et des centrales, ces pourrissoirs»...

Justement, nous en sommes là.