Mouvement Initiative et Liberté

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Une communication du MIL

EUROPÉENNES 1994, VOICI CE QUE LE MIL ÉCRIVAIT


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Nous avons voulu reprendre les deux articles que le président du Mouvement Initiative et Liberté (MIL), André Decocq, avait écrit sur ces élections. Il a été professeur de droit à la faculté de Droit de Paris. Il a été notre président du 26 novembre 1985 au 13 septembre 1994. Il est décédé le 29 décembre 2019. Ce texte montre bien les débats de l’époque, débats qui sont toujours d’actualité.


L’ENJEU DES ÉLECTIONS AU PARLEMENT EUROPÉEN DU 12 JUIN 1994


Depuis qu’elles ont lieu au suffrage universel, les élections  au Parlement européen n’ont guère été qu’un moyen, pour les Français, de s’exprimer, dans l’intervalle de deux scrutins nationaux, sur les affaires nationales. Celles de 1979 annonçaient la défaite de Giscard en 1981, celles de 1984 vomissaient les socialistes, celles de 1989 révélaient qu’en dépit de la réélection à la tête de l’État, un an auparavant,  du plus nauséabond d’entre eux, ils étaient décidément incapables de rester majoritaires.


Sans doute une idée reçue est-elle que ces élections ne passionnent pas le pays et de fait, le taux d’abstention y est toujours élevé. Pour autant, leur message n’a jamais été trompeur.

Prenons donc au sérieux celles qui vont se dérouler le 12 juin.


Comme les précédentes, elles doivent avoir une signification nationale, qui ne saurait être que celle-ci : la gauche perdra la prochaine élection présidentielle. Il faut que ses listes obtiennent, ensemble, des résultats médiocres. Il importe surtout que soit écrasée celle d’entre elles que Mitterrand  soutient, avec sournoiserie mais acharnement, tant elle lui ressemble : la liste de Tapie. Quel dégoût, quelle honte éprouverions-nous, en tant que Français, s’il pouvait se targuer d’un succès ! Le combattre sans merci n’est pas seulement affaire de politique, c’est une obligation morale et un devoir d’honneur.


Mais cette fois, la signification des «européennes» doit être, avant tout, européenne. Elles nous fournissent l’occasion de dire de quelle Europe nous ne voulons pas et de quelle Europe nous voulons.


L’Europe dont  nous ne voulons pas est l’Europe fédérale, l’Europe technocratique, l’Europe ouverte au libre-échange mondial, l’Europe soumise.


Nous ne voulons pas d’une fédération européenne parce qu’une fédération s’empare des pouvoirs des États, sauf ceux  qu’elle octroie, et devient le véritable État. Or la France, qui a reçu la grâce historique, exceptionnelle, d’être un État personnifiant une nation, ne peut se fondre dans un État fédéral qui ne serait pas l’expression d’une nation, car il n’y a pas de nation européenne : malgré de nombreux traits communs, les peuples d’Europe demeurent trop différents, par la langue, la culture et la conscience historique pour qu’on puisse les qualifier de nation.


Nous ne voulons pas d’une Europe technocratique attribuant la réalité du pouvoir à la Commission des Communautés européennes, dont le rapport avec le suffrage universel est à ce point indirect qu’elle n’a pas de légitimité démocratique.


Nous ne voulons pas d’une Europe ouverte au libre-échange mondial, qui achèverait de ruiner notre agriculture, de provoquer la délocalisation de nos usines, de réduire au chômage, avant de les clochardiser, des Français de plus en plus nombreux.


Nous ne voulons pas d’une Europe soumise, à l’extérieur, aux financiers, maniant un argent propre ou sale, soumise à l’intérieur à l’État membre le plus peuplé, le plus riche, le seul pourvu d’États satellites, autrement dit l’Allemagne ; d’une Europe qui, par la force des choses, se fermerait aux peuples de l’Est libérés du communisme.


L’Europe dont nous voulons est une Union d’États souverains, démocratique, solidaire, protectrice et indépendante.


Union d’États souverains : la réalité du pouvoir doit appartenir au Conseil européen et au Conseil de l’Union, qui émanent de ces États.


Europe démocratique : la prépondérance des États en est une garantie ; le contrôle du Parlement européen sur la Commission en doit être une autre.


Europe solidaire et protectrice : le libre-échange ne vaut qu’entre les États membres ; hors de l’Union, seule doit jouer la loi de la réciprocité, fondée sur la  parité des coûts et la loyauté du commerce.


Europe indépendante : les États membres appuyés sur les nations et les peuples, sont seuls assez forts pour tenir tête aux puissances financières internationales, qui, en revanche, asserviraient aisément les technocrates (faut-il employer ici le conditionnel ?).


Cette Europe, nos bulletins de vote peuvent contribuer à la construire.


Certes, les «pères de l’Europe», au premier rang desquels «l’Inspirateur» Jean Monnet ont glissé dans les traités d’origine des mots qui permettaient de faire l’Europe dont nous ne voulons pas ; plus précisément, au motif ou sous le prétexte de défense contre le communisme, une fédération administrée par des technocrates, sous le protectorat et  la domination économique des États-Unis. Certes, les auteurs du traité de Maastricht, au premier rang desquels Delors, y ont écrit ce qu’il fallait pour réaliser, enfin, leur projet de fédération européenne, rendre irréversible le libre-échange mondial et assurer la domination sur l’Europe des puissances financières internationales. Mais par peur des opinions publiques, ils ont dû opérer sous des masques, laisser dans les traités ce qui en permet une autre interprétation. Le général de Gaulle l’avait compris, en ce qui concerne les traités d’origine, et il avait su admirablement en jouer.


Il est possible de suivre son exemple en ce qui concerne le traité de Maastricht. Précisément, il accroît les pouvoirs du Parlement européen. Faisons donc en sorte d’y envoyer des députés qui sauront y défendre notre conception de l’Europe.


Pour en revenir aux affaires nationales, pensons que notre vote ne devra en aucune façon diminuer les chances du candidat que nous soutiendrons lors de la prochaine élection présidentielle.


N’écoutons pas, il faut y revenir, ceux qui disent que les élections du 12 juin sont sans importance. Toutes les raisons qui précédent commandent d’aller voter et de faire voter.


Repris de Vigilance & Action, N° 75 de mai-juin 1994



APRÈS LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES, LES LEçONS DU 12 JUIN


Les élections au Parlement européen révèlent que les Français, qui n’ont pas voté en masse mais  se sont  moins abstenus qu’en 1984 et 1989, se méfient toujours autant qu’en 1992 de l’Europe fédérale - de l’Europe des «cabris». Une des plus belles âneries que l’on a pu entendre ou lire dans la soirée du 12 juin, et depuis, est que la majorité favorable à Maastricht serait sortie renforcée du scrutin.


D’abord, «favorable à Maastricht» ou «défavorable à Maastricht» sont des formules équivoques dès lors que le traité a été ratifié et est entré en vigueur : elles peuvent signifier, ou bien que l’on était favorable ou défavorable à ce traité en 1992, ce qui n’a d’intérêt que rétrospectif, ou bien que l’on est défavorable ou favorable à sa modification profonde à l’occasion de sa révision prévue pour 1996, et ce débat a été évité par presque toutes les listes.


Ensuite, les listes dont tous les membres avaient voté et fait voter «non» à Maastricht (Villiers, Le Pen, Wurtz, Chevènement, Goustat, Laguiller, Gluckstein) ont obtenu au total 39 % des voix contre 32,9 % des voix aux listes dont tous les membres avaient voté ou fait voter «oui» (Rocard, Tapie, Lalonde, Isler-Béguin, Schwartzenberg).


Pour affirmer que les «maastrichtiens» ont progressé depuis 1992, il faudrait compter dans leur camp les 25,5 % de la liste Baudis. Or, celle-ci a fait campagne en rappelant que ses membres se partageaient entre anciens partisans et anciens adversaires du traité. Bien mieux, sa tête a solennellement abjuré son fédéralisme, qu’elle a proclamé «dépassé». Si l’on ajoute que nombre d’électeurs du R.P.R. et de l’U.D.F. qui avaient dit «non» à Maastricht et persistent à n’en attendre rien de bon, ont cependant voté Baudis par légitimisme et discipline, on en déduira qu’on ne peut ranger dans le camp des fédéralistes plus ou moins repentis les 25,5 % de voix qui se sont portés sur la liste «d’Union de la majorité».


Dans l’électorat naturel de la droite, ceux qui acceptent l’héritage de l’Europe supranationale, de Monnet et Delors, ou s’y résignent et ceux qui le rejettent sont à égalité. Telle est la vérité politique.


C’est un point qu’aucun candidat à l’élection présidentielle issu de notre famille ne devra oublier.

Précisément, les résultats du 12 juin comportent d’autres leçons, qu’il faut savoir déchiffrer et méditer en vue de définir une stratégie pour cette élection.


Première leçon :


Les sondages qui, en l’état actuel de l’opinion, créditent tout candidat issu de la majorité de plus ou moins 60 % des suffrages au second tour sont un bandeau que seuls des naïfs acceptent de se laisser placer sur les yeux. Le vrai est que, même avec les voix du Front national, les listes de droite n’ont pas atteint, le 12 juin, 50 % des suffrages. Le succès ne sera donc assuré qu’en faisant en sorte de perdre le moins possible de voix, des électeurs de Stasi à ceux de Le Pen et, en outre, de mordre sur l’électorat de gauche.


Deuxième leçon :


Dans les pires conditions pour lui, le Front national dépasse encore 10 %  des voix. Il serait fou d’espérer qu’il fasse moins bien dans un an. Tout ce qui, excès d’attention, attaques gratuites, provocations dérisoires, contribue à blesser ses électeurs, à les isoler ou à les stigmatiser, est donc à proscrire.


Troisième leçon :


Rocard paraît bien hors de combat. Tant qu’un candidat socialiste ayant de meilleures chances ne se révélera pas, nous combattrons des ombres. En dépit de sondages actuellement flatteurs, Delors, qui aura 70 ans en 1995, qui est un orateur exécrable, un débatteur piètre, auquel il ne faudra pas manquer de rappeler son passage désastreux au ministère de l’économie et des finances de 1981 à 1984, et dont le succès, alors que les Français restent aussi réticents à l’égard du fédéralisme, serait un invraisemblable paradoxe, ne devrait pas être réellement à craindre. Comme pendant la campagne pour le référendum sur Maastricht, ses nerfs pourraient le trahir avant la fin.


Mais ce qu’il faut redouter est l’inconnu, le candidat surprise qui surgirait après que la majorité aurait cédé à sa déplorable manie de se piquer, de se déchiqueter et, pour finir, de se saigner, après, aussi, que Dieu sait quelle exploitation d’événements dénaturés par les médias (comme la mort de Malik Oussekine, la libération des otages d’Ouvéa) auraient permis de retourner l’opinion.

Fantasme ? Peut-être. Prenons-y garde cependant, car le scrutin du 12 juin nous apprend autre chose.


Quatrième leçon :


Les partis dits de gouvernement (R.P.R., U.D.F., P.S.)  totalisent seulement, à eux trois 40% des voix, contre près de 52% aux contestataires. Surtout, il s’est trouvé 12% des électeurs pour voter Tapie. Si l’on en est là, pourquoi les Français ne seraient-ils pas capables de suivre jusqu’au précipice quelque aventurier éloquent qui promettrait le «changement» et représenterait la nouveauté ? N’ont-ils pas cru naguère que le décoré de la Francisque, le sauteur de l’Observatoire, le putschiste manqué du 29 mai 1968 créerait, entre le 10 mai 1981 et le 9 mai 1982, un million d’emplois ?


A la vérité, rien n’est gagné. Nous - nous tous - avons accumulé depuis vingt ans tant d’erreurs stratégiques qu’une élection présidentielle, sous couleur du moindre mal, a tourné au plus médiocre, et deux autres au franc désastre. Nous pouvons nous targuer d’un savoir-faire sans égal dans l’art de transformer une majorité parlementaire en minorité présidentielle.

Il est temps, grand temps, de changer de comportement.


Repris de Vigilance & Action, N° 76 de juillet 1994