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VI­GILANCE & AC­TION - N°  464 Mars-Avril 2024      


LES COMMUNICATIONS ÉCRITES DU M.I.L


EUROPE DES NATIONS CONTRE EUROPE FÉDÉRALE ET SUPRANATIONALE


Communication du MIL du 16 mars 2024


Les élections européennes doivent être regardées au niveau national et européen. Des candidats, et des journalistes, tentent de jouer, à chaque scrutin, sur une confusion des genres et brouillent les cartes.


Ainsi Macron tente de mettre en scène un duel entre lui et le RN, alors que l’enjeu de ce scrutin n’est pas national ; il ne concerne que le Parlement européen. Ce pseudo duel ne comptabilise même pas la moitié des intentions de vote.


D’une part, au niveau national, il est légitime d’apprécier le poids des partis politiques, ou coalitions de partis, dans le cadre d’un scrutin à la proportionnelle (certains rêvent d’appliquer la proportionnelle pour les législatives de 2027). Mais le résultat n’aura aucune conséquence, autre que symbolique, sur le plan national en 2024. Au Sénat, il existe une majorité claire entre LR et centristes. À l’Assemblée nationale, la coalition macroniste conservera une majorité relative. Elle aura recours au 49.3 pour les lois de finances et recherchera le soutien, ou l’abstention, de LR ou du PS pour faire adopter ses textes.


D’autre part, les résultats vont définir le rapport des forces politiques au Parlement européen pour la mandature 2024-2029). Les listes susceptibles d’avoir des élus s’inscrivent par avance dans le cadre d’un des sept groupes parlementaires européens existants (sauf en cas de scissions ou fusions difficiles à prévoir à ce jour). Un clivage majeur prime, certains souhaitent imposer une Europe fédérale, c’est-à-dire un pays souverain, l’Europe, qui prendrait la place de nos pays et les autres sont partisans de l’Europe des Nations et s’opposent aux fédéralistes.


Trois groupes parlementaires défendent la marche vers une Europe fédérale de manière explicite, même si des nuances existent. En cas d’obtention d’une majorité, les instances de l’UE prendraient progressivement le pas sur les choix des Nations. Il s’agit du groupe Renew Europe (que préside Valérie Hayer tête de la liste Macron-Attal), le groupe Socialiste et démocrate (S&D) et le groupe écologiste (Les verts / Alliance libre européenne (ALE)). Ils s’inscrivent dans une démarche fédéraliste.


Quatre groupes parlementaires s’opposent à une évolution fédérale. Certains d’entre eux défendent une Europe des Nations. Ils souhaitent un recentrage des politiques antérieures. Leurs positions sont parfois différentes. On compte trois groupes de droite : Parti Populaire Européen (PPE) auquel appartient Les Républicains (LR), Identité et Démocratie (ID), avec le Rassemblement national (RN) et Conservateurs et Réformiste Européens (CRE) avec Reconquête ! Dans la catégorie non fédéraliste, on compte aussi, pour d’autres raisons, le groupe d’extrême-gauche (Gauche unitaire européenne) dans lequel siège LFI.


Pour dresser un paysage complet, ajoutons que des listes hostiles à l’UE, en tant que telle (sur le modèle du Brexit), vont se présenter dans certains pays de l’Union, mais elles devraient faire des scores marginaux. Aucune liste française, susceptible d’avoir des élus, ne met en cause l’Union européenne, contrairement à ce que prétendent Macron et Attal, les listes en jeu prônent seulement son évolution, à des niveaux divers, avec certaines questions difficiles à faire aboutir.

Au niveau du Parlement européen, les deux groupes les plus importants sont avec 181 sièges le PPE (droite) et avec 140 le S&D (gauche socialiste), de fait, ils se partagent le pouvoir au Parlement européen. D’après les sondages actuels, ils devraient conserver leurs positions. Le paradoxe est que les élus macronistes ou RN continuerons à siéger dans des groupes parlementaires de moindre importance, et qu’ils n’auront pas une influence déterminante dans les débats du Parlement, comme cela a été le cas précédemment.


Depuis sa création, le Mouvement Initiative et Liberté (MIL) défend l’Europe des Nations et combat les partisans d’une Europe fédérale (solution promue par Macron-Attal). Ses adversaires sont donc les macronistes, les socialistes et les écologistes.


Le Mouvement Initiative et Liberté (MIL)  appellera les citoyens à voter en masse. Il faudra voter en faveur des listes Françaises qui pourront être représentées au Parlement (il faut plus de 5% des suffrages) et non pour les listes ayant une prévision de résultat inférieur à ce seuil. Il faut qu’elles défendent, chacune à leur manière, l’Europe des Nations. Il faut choisir celles qui vont vraiment travailler au Parlement sans se disperser sur le terrain national. Un député européenne Français ne doit pas être un intermittent, il doit travailler uniquement au Parlement européen.


Le Mouvement Initiative et Liberté (MIL) prône la nécessaire évolution de l’Union européenne dans des domaines comme le respect des frontières extérieures de l’Union, la réduction de l’accueil des migrants, la réindustrialisation, l’emploi, la maitrise de l’énergie, la réduction drastique de la prolifération normative, la maitrise du budget de l’UE, le respect des compétences définies dans les traités, l’élargissement de l’UE à de nouveaux pays, la lutte contre les ingérences étrangères, la coordination des efforts conjoints en faveur de la sécurité contre les trafics de drogue ou d’êtres humains, contre les mafias et le banditisme, contre la délinquance financière, etc.



LA DÉFENSE EST L’AFFAIRE DES ÉTATS, PAS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE


Communication du MIL du 21 mars 2024


En envisageant de créer un poste de commissaire à la Défense, doté d’un budget et d’une agence passant les commandes de matériels directement auprès des industriels, Bruxelles sort de son rôle, s’inquiète Bernard Carayon, ancien député, maire LR de Lavaur (Tarn).


La guerre en Ukraine rappelle aux Européens que leur Défense a un prix et que la paix n’est qu’un moment provisoire dans l’Histoire de l’humanité. Elle est «la première raison d’être de l’État. Il n’y peut manquer sans se détruire lui-même», disait de Gaulle. Ce n’est pas un hasard si une provocation présidentielle a suscité chez nos partenaires un recul immédiat teinté d’effroi : payer, un peu, oui, mais combattre les Russes, s’en remettre à l’Autre pour décider de son destin et mourir pour Kiev, non. Le président ne pouvait délivrer de pire message pour désespérer les uns et encourager les autres.


La Défense et la politique étrangère s’invitent aux élections européennes. La première, en violation des Traités, la seconde du bon sens : la diplomatie bruxelloise n’a été brillante que pour régler, avec le Brexit et Michel Barnier, un problème interne à l’Union.


Il faut maintenant être sérieux.


La Défense est l’affaire exclusive des Exécutifs nationaux, sous contrôle de leurs parlements. Or Bruxelles, avec sa méthode éprouvée des «petits pas» et sa théologie de la «construction» permanente, veut créer un poste de commissaire à la Défense, doté d’un budget, puis d’une agence passant les commandes de matériels directement auprès des industriels. Avec l’ambition inavouée de réguler le marché européen et tourner le dos définitivement à l’Europe des États-Nations.


Avec la PAC, la Commission avait acheté les agriculteurs au prix de l’ouverture des marchés et d’innombrables distorsions de concurrence. La Commission, cette fois, veut imposer à nos industriels des «circuits courts» et contrôler leurs exportations alors que sa diplomatie est fantomatique. Les nôtres n’ont comme clients que des États extérieurs au continent européen puisqu’en Europe prévaut la préférence américaine comme l’illustrent les achats des Européens (65 %) depuis des décennies et plus encore depuis la guerre en Ukraine. Nos ventes, au deuxième rang mondial, bénéficient d’un accompagnement de l’État, parce que ces affaires-là doivent rester discrètes, aussi longtemps que cela est nécessaire pour des raisons politiques et commerciales, avec des compétiteurs très durs, les États-Unis, la Chine et la Russie.


Ce marché ne sera jamais un marché libre et ouvert selon les désirs de la Commission. C’est pourquoi, il faut exclure définitivement les entreprises de défense de la taxonomie européenne qui interdit aux banques occidentales leur financement. Sinon, c’est toute la sous-traitance française – des centaines de PME/PMI – qui se trouverait asséchée.


Le commissaire Breton a proposé la création d’un fonds de défense de 100 milliards d’euros destiné à ces achats, réduit à trois mois des élections à 1,5 milliard pour ne pas ouvrir un débat houleux. Mais le commissaire «progressiste» au marché intérieur a déjà pris l’attache des industriels, court-circuitant les États. La Commission cherche à étendre sa connaissance des investissements à l’étranger des dites entreprises. Un prélude à son ambition de contrôler les exportations militaires à la place des États pour les programmes qu’elle financerait en tout ou partie. Dire que c’est indécent est une litote.


Ce n’est pas pour autant qu’il faut s’interdire tout effort. Mais celui-ci ne peut être que national pour des raisons à proprement parler démocratiques, en souvenir aussi des échecs cuisants de la Commission chaque fois qu’une crise survient : crise financière, migratoire, épidémique, sino-américaine, incapacité à imposer puis homogénéiser sur le continent le filtrage des investissements extra-européens, même non désirés.


Les États doivent affirmer la préférence européenne et la règle de réciprocité dans les marchés publics. Commençons avec notre fournisseur principal : les États-Unis.


Les dépenses d’équipement militaire et d’intervention extérieure au service d’un intérêt commun doivent être exclues des critères de Maastricht en matière de déficit.


Les États doivent coordonner leurs achats à l’aune de leurs besoins et de leurs compétences. Si un fonds devait être créé, pas un euro ne doit être dépensé pour un matériel non européen. Et si un autre fonds doit être mobilisé, que ce soit alors la Facilité Européenne pour la Paix, l’instrument qui finance les matériels de guerre pour l’Ukraine. Avec pour seuls interlocuteurs : les États. Il serait invraisemblable que le Parlement européen, les ONG et les lobbys anglo-saxons se mêlent de nos affaires.


Les difficultés de la coopération industrielle au sein du «couple» franco-allemand soulignent déjà la nécessité de faire prévaloir l’intérêt national. Quand nous parlons du Système de Combat Aérien du Futur, pas même mentionné dans l’accord de coalition de 2021, notre voisin achète des avions de combat F35 et des avions de patrouille maritime américains.


Le projet d’Eurodrone, conçu comme une réponse au Reaper américain, accumule les retards et les surcoûts. Et nul ne peut prédire ce qui adviendra du char du futur.


Enfin, sans prévenir Français et Italiens engagés dans une version européenne du Patriot (Système d’arme anti-aérienne américain), les Allemands lancent avec les États-Unis et Israël un projet de bouclier antimissile, occultant le sujet de la dissuasion nucléaire française.


Oui, restons sérieux. La Défense en Europe est l’affaire des seuls États et ne peut être efficace que par la conjugaison et la complémentarité d’intérêts nationaux. La Commission ne peut en être ni le juge, ni même l’arbitre.


L’auteur est membre du Comité d’Honneur du MIL.

Tribune parue sur Le Figaro, le 17 mars 2024

EUROPÉENNES 1994, VOICI CE QUE LE MIL ÉCRIVAIT


Communication du MIL du 25 mars 2024


Nous avons voulu reprendre les deux articles que le président du Mouvement Initiative et Liberté (MIL), André Decocq, avait écrit sur ces élections. Il a été professeur de droit à la faculté de Droit de Paris. Il a été notre président du 26 novembre 1985 au 13 septembre 1994. Il est décédé le 29 décembre 2019. Ce texte montre bien les débats de l’époque, débats qui sont toujours d’actualité.


L’ENJEU DES ÉLECTIONS AU PARLEMENT EUROPÉEN DU 12 JUIN 1994


Depuis qu’elles ont lieu au suffrage universel, les élections  au Parlement européen n’ont guère été qu’un moyen, pour les Français, de s’exprimer, dans l’intervalle de deux scrutins nationaux, sur les affaires nationales. Celles de 1979 annonçaient la défaite de Giscard en 1981, celles de 1984 vomissaient les socialistes, celles de 1989 révélaient qu’en dépit de la réélection à la tête de l’État, un an auparavant,  du plus nauséabond d’entre eux, ils étaient décidément incapables de rester majoritaires.


Sans doute une idée reçue est-elle que ces élections ne passionnent pas le pays et de fait, le taux d’abstention y est toujours élevé. Pour autant, leur message n’a jamais été trompeur.


Prenons donc au sérieux celles qui vont se dérouler le 12 juin.


Comme les précédentes, elles doivent avoir une signification nationale, qui ne saurait être que celle-ci : la gauche perdra la prochaine élection présidentielle. Il faut que ses listes obtiennent, ensemble, des résultats médiocres. Il importe surtout que soit écrasée celle d’entre elles que Mitterrand  soutient, avec sournoiserie mais acharnement, tant elle lui ressemble : la liste de Tapie. Quel dégoût, quelle honte éprouverions-nous, en tant que Français, s’il pouvait se targuer d’un succès ! Le combattre sans merci n’est pas seulement affaire de politique, c’est une obligation morale et un devoir d’honneur.


Mais cette fois, la signification des «européennes» doit être, avant tout, européenne. Elles nous fournissent l’occasion de dire de quelle Europe nous ne voulons pas et de quelle Europe nous voulons.


L’Europe dont  nous ne voulons pas est l’Europe fédérale, l’Europe technocratique, l’Europe ouverte au libre-échange mondial, l’Europe soumise.


Nous ne voulons pas d’une fédération européenne parce qu’une fédération s’empare des pouvoirs des États, sauf ceux  qu’elle octroie, et devient le véritable État. Or la France, qui a reçu la grâce historique, exceptionnelle, d’être un État personnifiant une nation, ne peut se fondre dans un État fédéral qui ne serait pas l’expression d’une nation, car il n’y a pas de nation européenne : malgré de nombreux traits communs, les peuples d’Europe demeurent trop différents, par la langue, la culture et la conscience historique pour qu’on puisse les qualifier de nation.


Nous ne voulons pas d’une Europe technocratique attribuant la réalité du pouvoir à la Commission des Communautés européennes, dont le rapport avec le suffrage universel est à ce point indirect qu’elle n’a pas de légitimité démocratique.


Nous ne voulons pas d’une Europe ouverte au libre-échange mondial, qui achèverait de ruiner notre agriculture, de provoquer la délocalisation de nos usines, de réduire au chômage, avant de les clochardiser, des Français de plus en plus nombreux.


Nous ne voulons pas d’une Europe soumise, à l’extérieur, aux financiers, maniant un argent propre ou sale, soumise à l’intérieur à l’État membre le plus peuplé, le plus riche, le seul pourvu d’États satellites, autrement dit l’Allemagne ; d’une Europe qui, par la force des choses, se fermerait aux peuples de l’Est libérés du communisme.


L’Europe dont nous voulons est une Union d’États souverains, démocratique, solidaire, protectrice et indépendante.


Union d’États souverains : la réalité du pouvoir doit appartenir au Conseil européen et au Conseil de l’Union, qui émanent de ces États.


Europe démocratique : la prépondérance des États en est une garantie ; le contrôle du Parlement européen sur la Commission en doit être une autre.


Europe solidaire et protectrice : le libre-échange ne vaut qu’entre les États membres ; hors de l’Union, seule doit jouer la loi de la réciprocité, fondée sur la  parité des coûts et la loyauté du commerce.


Europe indépendante : les États membres appuyés sur les nations et les peuples, sont seuls assez forts pour tenir tête aux puissances financières internationales, qui, en revanche, asserviraient aisément les technocrates (faut-il employer ici le conditionnel ?).


Cette Europe, nos bulletins de vote peuvent contribuer à la construire.


Certes, les «pères de l’Europe», au premier rang desquels «l’Inspirateur» Jean Monnet ont glissé dans les traités d’origine des mots qui permettaient de faire l’Europe dont nous ne voulons pas ; plus précisément, au motif ou sous le prétexte de défense contre le communisme, une fédération administrée par des technocrates, sous le protectorat et  la domination économique des États-Unis. Certes, les auteurs du traité de Maastricht, au premier rang desquels Delors, y ont écrit ce qu’il fallait pour réaliser, enfin, leur projet de fédération européenne, rendre irréversible le libre-échange mondial et assurer la domination sur l’Europe des puissances financières internationales. Mais par peur des opinions publiques, ils ont dû opérer sous des masques, laisser dans les traités ce qui en permet une autre interprétation. Le général de Gaulle l’avait compris, en ce qui concerne les traités d’origine, et il avait su admirablement en jouer.


Il est possible de suivre son exemple en ce qui concerne le traité de Maastricht. Précisément, il accroît les pouvoirs du Parlement européen. Faisons donc en sorte d’y envoyer des députés qui sauront y défendre notre conception de l’Europe.


Pour en revenir aux affaires nationales, pensons que notre vote ne devra en aucune façon diminuer les chances du candidat que nous soutiendrons lors de la prochaine élection présidentielle.


N’écoutons pas, il faut y revenir, ceux qui disent que les élections du 12 juin sont sans importance.


Toutes les raisons qui précédent commandent d’aller voter et de faire voter.


Repris de Vigilance & Action, N° 75 de mai-juin 1994



APRÈS LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES, LES LEçONS DU 12 JUIN


Les élections au Parlement européen révèlent que les Français, qui n’ont pas voté en masse mais  se sont  moins abstenus qu’en 1984 et 1989, se méfient toujours autant qu’en 1992 de l’Europe fédérale - de l’Europe des «cabris». Une des plus belles âneries que l’on a pu entendre ou lire dans la soirée du 12 juin, et depuis, est que la majorité favorable à Maastricht serait sortie renforcée du scrutin.


D’abord, «favorable à Maastricht» ou «défavorable à Maastricht» sont des formules équivoques dès lors que le traité a été ratifié et est entré en vigueur : elles peuvent signifier, ou bien que l’on était favorable ou défavorable à ce traité en 1992, ce qui n’a d’intérêt que rétrospectif, ou bien que l’on est défavorable ou favorable à sa modification profonde à l’occasion de sa révision prévue pour 1996, et ce débat a été évité par presque toutes les listes.


Ensuite, les listes dont tous les membres avaient voté et fait voter «non» à Maastricht (Villiers, Le Pen, Wurtz, Chevènement, Goustat, Laguiller, Gluckstein) ont obtenu au total 39 % des voix contre 32,9 % des voix aux listes dont tous les membres avaient voté ou fait voter «oui» (Rocard, Tapie, Lalonde, Isler-Béguin, Schwartzenberg).


Pour affirmer que les «maastrichtiens» ont progressé depuis 1992, il faudrait compter dans leur camp les 25,5 % de la liste Baudis. Or, celle-ci a fait campagne en rappelant que ses membres se partageaient entre anciens partisans et anciens adversaires du traité. Bien mieux, sa tête a solennellement abjuré son fédéralisme, qu’elle a proclamé «dépassé». Si l’on ajoute que nombre d’électeurs du R.P.R. et de l’U.D.F. qui avaient dit «non» à Maastricht et persistent à n’en attendre rien de bon, ont cependant voté Baudis par légitimisme et discipline, on en déduira qu’on ne peut ranger dans le camp des fédéralistes plus ou moins repentis les 25,5 % de voix qui se sont portés sur la liste «d’Union de la majorité».


Dans l’électorat naturel de la droite, ceux qui acceptent l’héritage de l’Europe supranationale, de Monnet et Delors, ou s’y résignent et ceux qui le rejettent sont à égalité. Telle est la vérité politique.

C’est un point qu’aucun candidat à l’élection présidentielle issu de notre famille ne devra oublier.

Précisément, les résultats du 12 juin comportent d’autres leçons, qu’il faut savoir déchiffrer et méditer en vue de définir une stratégie pour cette élection.


Première leçon :


Les sondages qui, en l’état actuel de l’opinion, créditent tout candidat issu de la majorité de plus ou moins 60 % des suffrages au second tour sont un bandeau que seuls des naïfs acceptent de se laisser placer sur les yeux. Le vrai est que, même avec les voix du Front national, les listes de droite n’ont pas atteint, le 12 juin, 50 % des suffrages. Le succès ne sera donc assuré qu’en faisant en sorte de perdre le moins possible de voix, des électeurs de Stasi à ceux de Le Pen et, en outre, de mordre sur l’électorat de gauche.


Deuxième leçon :


Dans les pires conditions pour lui, le Front national dépasse encore 10 %  des voix. Il serait fou d’espérer qu’il fasse moins bien dans un an. Tout ce qui, excès d’attention, attaques gratuites, provocations dérisoires, contribue à blesser ses électeurs, à les isoler ou à les stigmatiser, est donc à proscrire.


Troisième leçon :


Rocard paraît bien hors de combat. Tant qu’un candidat socialiste ayant de meilleures chances ne se révélera pas, nous combattrons des ombres. En dépit de sondages actuellement flatteurs, Delors, qui aura 70 ans en 1995, qui est un orateur exécrable, un débatteur piètre, auquel il ne faudra pas manquer de rappeler son passage désastreux au ministère de l’économie et des finances de 1981 à 1984, et dont le succès, alors que les Français restent aussi réticents à l’égard du fédéralisme, serait un invraisemblable paradoxe, ne devrait pas être réellement à craindre. Comme pendant la campagne pour le référendum sur Maastricht, ses nerfs pourraient le trahir avant la fin.


Mais ce qu’il faut redouter est l’inconnu, le candidat surprise qui surgirait après que la majorité aurait cédé à sa déplorable manie de se piquer, de se déchiqueter et, pour finir, de se saigner, après, aussi, que Dieu sait quelle exploitation d’événements dénaturés par les médias (comme la mort de Malik Oussekine, la libération des otages d’Ouvéa) auraient permis de retourner l’opinion.

Fantasme ? Peut-être. Prenons-y garde cependant, car le scrutin du 12 juin nous apprend autre chose.


Quatrième leçon :


Les partis dits de gouvernement (R.P.R., U.D.F., P.S.)  totalisent seulement, à eux trois 40% des voix, contre près de 52% aux contestataires. Surtout, il s’est trouvé 12% des électeurs pour voter Tapie. Si l’on en est là, pourquoi les Français ne seraient-ils pas capables de suivre jusqu’au précipice quelque aventurier éloquent qui promettrait le «changement» et représenterait la nouveauté ? N’ont-ils pas cru naguère que le décoré de la Francisque, le sauteur de l’Observatoire, le putschiste manqué du 29 mai 1968 créerait, entre le 10 mai 1981 et le 9 mai 1982, un million d’emplois ?


A la vérité, rien n’est gagné. Nous - nous tous - avons accumulé depuis vingt ans tant d’erreurs stratégiques qu’une élection présidentielle, sous couleur du moindre mal, a tourné au plus médiocre, et deux autres au franc désastre. Nous pouvons nous targuer d’un savoir-faire sans égal dans l’art de transformer une majorité parlementaire en minorité présidentielle.


Il est temps, grand temps, de changer de comportement.


Repris de Vigilance & Action, N° 76 de juillet 1994