Mouvement Initiative et Liberté

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Une communication du MIL

LAURENT WAUQUIEZ : DU RETOUR DE LA GUERRE ET DE NOS ARMÉES


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L'invasion militaire russe de l'Ukraine a mis fin à une importante période de paix en Europe. Certes, la France n'est pas en guerre, mais le risque oublié redevient d’actualité. La seule réponse pour maintenir la paix réside dans la capacité de la France à défendre ses citoyens et à assurer ses responsabilités vis-à-vis des pays européens. Le bon fonctionnement et la croissance de la puissance effective de nos forces armées, dans tous les domaines, apparait une priorité nationale.


Cette priorité doit s'imposer dans le débat présidentiel, puis lors des législatives de juin 2022. Macron propose une hausse du budget actuel (moins de 41 milliards annuels actuellement) trop faible et trop lente. Elle ne répond pas du tout aux exigences actuelles, pas plus que celles de plusieurs autres candidats.


Laurent Wauquiez, dans un texte publié le 20 mars 2022 sur Facebook, présente la situation, les enjeux concrets et les mesures à prendre sans aucun délai. Il s’agit d’une analyse de premier plan, c’est pourquoi le Mouvement Initiative et Liberté (MIL) a décidé de publier l’intégralité de ce texte.


Du retour de la guerre et de nos armées

par Laurent Wauquiez


J’ai été amené à l’écrire, c’est une banalité, mais la guerre en Ukraine, c’est le retour de la guerre. Cette banalité, il faut la dire et la répéter. Il faut en avoir profondément conscience si l’on ne veut pas connaître le destin de l’Europe de l’entre-deux guerres. C’est le retour du tragique et des conflits, le retour de ce que certains ont cru pouvoir balayer de leur horizon : l’importance d’avoir une Nation capable de nous protéger. Le premier devoir du politique : apporter la protection à ses habitants.


Nous avions fini par l’oublier mais, et le général de Gaulle le rappelait dans un très beau discours à l’École militaire en 1959, depuis les Mérovingiens, les Carolingiens, les Capétiens, depuis le Premier Empire jusqu’à la IIIe République, la raison d’être des États a souvent été la défense et la protection. Contre les invasions barbares, contre la menace du Saint-Empire romain germanique ou des Anglais, contre la Prusse… la France ne serait plus elle-même si, à des moments clés de notre histoire, nous n’avions pu compter sur notre armée pour nous protéger.


Il ne faut jamais oublier qu’une armée ne sert à rien jusqu’au jour où on en a besoin. La cause profonde de la défaite de 1940 se résume à une simplissime clarté : les Allemands avaient préparé leur armée, les Français avaient abdiqué ; les uns avaient préparé la guerre, les autres avaient renoncé à la penser. Marc Bloch, l’un des plus remarquables historiens français, fusillé par les Allemands, l’avait parfaitement analysé depuis sa cellule au lendemain de la défaite : l’humiliation de 1940 est due au fait que les politiques, les élites, les Français globalement avaient baissé les bras et avaient renoncé.


Eh bien, le retour de la guerre en Ukraine nous oblige à ouvrir les yeux et à cesser de renoncer, car nous savons maintenant que le moment peut venir où il faudra être capable de protéger l’Europe.


Le sommes-nous ?  Sommes-nous prêts ? Alors que l’on évoque le retour de ce qu’on appelle de ce terme étrange les guerres de haute intensité, sommes-nous prêts ?


Les chiffres sont sans ambiguïté. La chute en trente ans est abyssale. Nous avions 1 350 chars, nous en avons 220. Nous avions 686 avions de combat, nous en avons 250. Nous avions 37 grands bâtiments de surface, nous en avons 19. À titre d’exemple, certains experts estiment que tous les deux ans, l’armée chinoise se renforce de l’équivalent de l’armée française.


Si l’on prend par exemple les munitions, le président de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, Christian Cambon, a estimé que nous avions, au mieux, des réserves de munition pour tenir 3 jours tant nos stocks sont bas. Que l’on se comprenne bien, si un conflit comme la guerre d’Ukraine devait éclater, une armée, comme la nôtre, a suffisamment de munitions pour trois jours ! Plus globalement, en raison de nos problèmes logistiques, on considère que globalement l’armée ne pourrait pas tenir plus de 15 jours. Pour nos avions, nous serions au mieux capables d’aligner 50 appareils dans un combat de haute intensité. Nous n’avons quasiment pas d’avions gros porteurs - ironie de l’histoire l’armée française en était réduite à louer ceux de l’Ukraine ces dernières années. Songe-t-on, à titre d’exemple, qu’il s’est détruit dans les 15 premiers jours du conflit ukrainien à peu près autant de chars que tout ce que l’armée française est capable aujourd’hui d’aligner.


À ce stade, les programmes français tels qu’ils sont définis reconnaissent clairement qu’aujourd’hui l’armée française est démunie, ils prévoient bien une remontée en charge à horizon 2030. En 1936, l’armée française avait prévu le même type de raisonnement en se fixant d’être prête pour 1943.


Je voudrais, pour finir, évoquer un sujet qui, je le comprends, peut susciter de grands espoirs ou, pour le dire autrement, de grands rêves : une armée européenne. Je le dis simplement mais de façon assez catégorique : je n’y crois pas. Je crois à l’Europe capable d’organiser les échanges entre nos étudiants et nos universités, je crois à l’Europe des infrastructures, je crois et c’est beaucoup comme le rappelle la guerre en Ukraine, à l’Europe qui crée la paix entre nous et nous rappelle le sens d’une civilisation européenne bâtie sur l’humanisme, je voudrais croire à une Europe économique capable de défendre avec détermination nos intérêts économiques face aux États-Unis et à la Chine mais je ne crois pas à l’Europe de la défense. Jamais nous ne pourrons agir efficacement sur des questions de souveraineté en ayant besoin de recueillir l’assentiment d’autant de pays aux intérêts divers, en étant contraint à des discussions sans fin ; l’armée est affaire de nation et de souveraineté. En disant cela, je ne dis pas qu’il ne faut pas penser l’armée française dans un cadre européen. Je dis juste qu’on ne doit pas penser à diluer une armée française dans une armée européenne. Et pour ceux qu’il serait encore nécessaire de convaincre, je renvoie à la brutale clarté de la décision allemande de commander, au moment où nous discutions pourtant d’un avion de combat européen, des avions américains au lieu de faire le choix de l’Europe.


Alors oui, il faut réinvestir dans notre armée, donner les moyens à nos soldats d’assurer leurs missions, porter l’effort de défense bien au-delà de 2% du PIB, en montant à 65 milliards d’euros – nous étions capables de le faire des années 60 aux années 80 ; il faut arrêter les fausses lois de programmation, où les chiffres servent à la communication plus qu’à la réalité de nos moyens, à l’image de la loi actuelle qui prévoit 295 milliards dont seulement 198 sont assurés. Il faut le faire en se fixant des priorités : reconstituer des stocks de munitions – nous en sommes là – acheter les missiles aster et exocets si stratégiques, remplacer les Rafales que nous avons cédé à la Grèce et à la Croatie (20 sur une flotte de 130 !), combler nos trous sur les navires de premier rang, œuvrer pour tout ce qui relève de ce qu’on appelle la mise en condition opérationnelle (drones, équipement, lutte cyber). Cet effort d’armement peut se mener en veillant à ce que notre économie en tire profit à travers des commandes passées à nos entreprises françaises comme le font les Américains chez eux.


Pour cela, il faut aussi, est-il besoin de le rappeler, un pays en ordre de marche qui aura su arrêter de gaspiller l’argent public sur des domaines inutiles pour le consacrer là où notre avenir est en jeu.


Nous avons tout pour faire face à cette période de conflits plus menaçante qui est devant nous ; nous avons toutes les forces en nous-mêmes. Il faut juste de la lucidité, de la détermination et ce courage dont de Gaulle rappelait toujours qu’il fait à la fois la personnalité des chefs de guerre et des hommes d’État : «s’efforcer d’être des hommes, des hommes dignes et capables de répondre, dans des conditions insoupçonnées, au drame qui fondra sur eux et où il faudra faire face sans effroi et avec détermination».