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Une communication du MIL

 «FAIRE SAUTER LES VERROUS DE L’IMPUISSANCE »


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Laurent Wauquiez sort du silence et critique une «dangereuse atteinte à la liberté d’expression», s’attaquant aux carcans administratifs et juridiques qui bloquent le pays


JDD : Cette semaine, une décision du Conseil d’État – saisi par Reporters sans frontières – redéfinit les missions de l’Arcom en demandant un contrôle plus exigeant de sa part, ciblant la politique éditoriale de CNews en particulier. Quelle a été votre lecture de cet arrêt ?

Laurent Wauquiez : Il faut bien comprendre ce vers quoi nous amène cette décision : un sys­tème où des personnes, nommées par le pouvoir, se mettraient à ficher politiquement les intervenants dans les médias, avant de décider s’ils peuvent ou non continuer à s’expri­mer. C’est une dangereuse atteinte à la liberté d’expression. Si nous étions un pays d’Europe centrale, on par­lerait de dérive illibérale.


Avant de revenir plus largement sur la question de nos Cours suprêmes, quel est votre avis sur la légitimité des administrations indépendantes dont fait partie l’Arcom ?

On a multiplié les verrous en créant des autorités administratives indé­pendantes qui sont autant de féoda­lités juridiques qui ne répondent plus à personne et créent leurs règles qui s’imposent à tous. Quand la Cnil interdit la vidéoprotection intelli­gente aussi bien pour détecter des bagages abandonnés que pour iden­tifier des terroristes, on peut s’inter­roger sur le bon sens qui préside à ces mesures. Quand l’Arcom fait des remontrances à géométrie variable selon que vous êtes un média privé jugé de droite comme CNews, ou un média public jugé de gauche comme France Inter, on est fondé à se demander si tout ceci est dicté par l’intérêt général ou par une cer­taine approche idéologique.


Mais ne faut-il pas un contrôle ? Ces règles, que vous qualifiez de «verrous», ne sont-elles pas nécessaires ?

Des règles oui, des verrous non. Personne ne remet en cause l’exis­tence de règles. Qu’il y ait des juges pour veiller au respect de la loi, c’est indispensable. Mais quand des orga­nismes administratifs se mettent eux-mêmes à faire la loi, l’équilibre sur lequel repose notre démocratie est menacé.


L’agriculture un jour, Mayotte le lendemain, l’immigration, l’insécurité en général... À chaque fois, les Français ont l’impression d’une impasse. Comment s’explique l’impuissance de l’État ?

La question est primordiale, car pour sortir de l’impasse, on ne peut plus se contenter de répondre crise après crise au fil de l’eau, il faut com­prendre les causes profondes du mal. La Ve République avait été construite pour sortir la France de la faiblesse et de l’instabilité. Et aujourd’hui, on l’a laissée se perdre et devenir un régime de l’impuissance. C’est tout le paradoxe. Les blocages qui pèsent sur le fonctionnement de notre pays se sont accumulés jusqu’à paralyser l’action de l’État, devenu un Gulliver enchaîné.


«Lorsque nos institutions s’affaissent, l'État de droit vacille», assure Bernard Cazeneuve. D’autres affirment que l'État de droit participe de l’affaissement de nos institutions ?

Le sujet n’est pas de contester l’État de droit, mais de s’inter­roger sur sa dérive au cours des dernières années. Entre les juris­prudences des Cours suprêmes, les décisions des autorités administra­tives, les pressions des minorités actives, tout concourt à aller dans la même direction : l’affaissement de l’autorité, des contraintes tou­jours plus lourdes sur nos entre­prises, l’installation du multicul­turalisme sur la base de principes dont on est fondé à se demander s’ils sont guidés par le droit ou par une idéologie politique.


Mais les politiques, de gauche comme de droite, ont laissé faire, quand ils n’ont pas encouragé ce processus... Même lorsque votre famille politique était au pouvoir !

Est-ce qu’il y a une responsabilité du politique ? Évidemment. Par lâcheté ? Par aveuglement ? C’est précisément pour secouer les esprits que j’assume de porter ce débat cen­tral. Au-delà des décisions récentes du Conseil constitutionnel ou de l’Arcom, il faut prendre la mesure de tout ce qu’il est devenu impossible de faire dans notre pays.


Concrètement, comment s’organise cette impuissance ?

Prenons la lutte contre l’insécurité : le Conseil constitutionnel, par une décision du 7 août 2020, a interdit la mise en rétention de terroristes considérés comme dangereux à la sortie de prison. La Cour de justice de l’Union européenne rend quasi impossible de refouler des immi­grés illégaux à la frontière. La Cour européenne des droits de l’homme, depuis décembre 2009, s’oppose à l’expulsion de terroristes étrangers dans leur pays d’origine. Le Conseil d’État en a d’ailleurs fait l’application en ordonnant le 7 décembre 2023 le rapatriement d’un immigré illégal ouzbek, considéré pourtant comme dangereux. On nous présente ces jurisprudences comme incontes­tables. Nous sommes tout de même dans une démocratie, et ces déci­sions ne relèvent pas du dogme de l’infaillibilité pontificale. Nous sommes en droit de nous interroger sur le sens de ces jurisprudences qui vont toutes dans la même direction.


Lorsque vous avez évoqué le «coup d’État du droit» du Conseil constitutionnel, nombreux sont ceux qui ont dénoncé une provocation...

L’expression n’est même pas de moi ! Elle est de Robert Badinter pour qualifier la décision de 1971, lorsque le Conseil constitutionnel s’accorde le pouvoir de censurer pleinement la loi. On m’a même reproché de trahir le gaullisme. Quelle inculture historique ! Le général de Gaulle s’est tou­jours opposé à ce que le Conseil constitutionnel devienne un juge démiurge comme la Cour suprême américaine. Mais tout est bon pour rendre ce débat interdit. Pour autant, je ne céderai pas et conti­nuerai à porter ce débat essentiel. Il ne s’agit pas de contester l’État de droit, mais de renouer avec ce qui est en France le véritable esprit de l’État de droit.


Qu’est-ce qui le menace ?

Ce qui menace l’État de droit, c’est l’explosion de la violence, le chaos migratoire, la folie admi­nistrative qui oblige nos agricul­teurs à aller dans la rue pour se faire entendre. En un mot, c’est le régime de l’impuissance. Et ce qui devrait choquer les républi­cains authentiques, c’est qu’une interprétation très idéologique de notre droit nous empêche de réagir. Clemenceau, Briand, Jaurès avaient compris que l’ordre était la condition de la stabilité de la République. Tous ceux qui veulent sincèrement reconstruire notre pays doivent œuvrer à cela.


Comment faire sauter ces verrous ?

«La politique, c’est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire», disait Richelieu. Les solutions existent. D’abord, il faut retrouver notre sou­veraineté au niveau international. Lorsqu’une loi est votée, aucun juge ne doit pouvoir l’écarter en s’abri­tant derrière des traités interna­tionaux antérieurs. C’était le cas jusqu’en 1989. Aujourd’hui, l’inter­prétation des traités internationaux est utilisée à des fins plus idéolo­giques que juridiques. En Suède, au Danemark, il y a un principe, le self-restraint, où le juge limite lui-même son pouvoir de censu­rer la loi. En Allemagne, la Cour de Karlsruhe a théorisé en 1995, puis en 2009, la primauté de la sou­veraineté juridique allemande. À ce que je sache, ce sont bien des démocraties. Il n’y a aucune raison d’accepter cette dérive chez nous qui n’a pas lieu chez nos voisins. Ensuite, il faut retrouver notre souveraineté au niveau national : face à une situation de blocage, le dernier mot doit revenir au Parle­ment. Reprenons ce qui s’est passé avec la loi immigration : le Conseil constitutionnel a censuré à 40 % une loi votée par les deux tiers du Parlement et souhaitée par une immense majorité de Français. Le Parlement devrait pouvoir avoir le dernier mot avec une majorité qualifiée des 3/5es. C’est ce qu’on peut appeler un lit de justice, et qui permettrait de s’assurer que le Parlement retrouve une liberté dans le respect de l’État de droit et de la souveraineté du législateur.


Quid de la solution référendaire ?

Jamais le référendum ne s’est fait aussi rare sous la Ve République...


De triste mémoire, puisque le référendum de 2005 a finalement abouti à un camouflet démocratique, sous la mandature de votre famille politique...

Pardon, mais ce n’est pas le der­nier référendum. Le dernier, c’était en 2016, à Notre-Dame­-des-Landes, sur la question de l’aéroport. Une majorité forte s’était exprimée en faveur du projet, et Édouard Philippe avait préféré céder face aux revendi­cations des minorités violentes d’extrême gauche, ouvrant la voie à une capitulation démo­cratique que nous payons encore aujourd’hui.


Que proposez-vous : un référendum d’initiative partagée, à votre tour ?

Qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. Je ne suis pas pour les illusions d’une soi-disant démocratie participative comme la Convention citoyenne avec 150 personnes tirées au sort. Le bon fonctionnement, c’est celui du référendum tel qu’il était conçu dans la Ve République. C’est ce dia­logue que je veux retrouver. Je suis favorable à un système inspiré de la Suisse, consistant chaque année à poser aux Français des questions sur des sujets qui mettent en jeu l’avenir de notre pays et la conduite de la nation : la sécurité, l’immigration, l’école, la santé. Les Français pour­raient s’exprimer sans que leurs décisions puissent être contestées : leur choix aurait immédiatement force de changement.


Pourquoi privilégier le modèle de votation suisse ?

Quand vous n’organisez un référendum que tous les dix ans, les Français ne répondent plus à la question, ils sanctionnent celui qui la pose. Le système suisse permet une respiration démocratique régu­lière, parce que c’est un rendez-vous institutionnalisé.


Emmanuel Macron voulait lutter contre l’«inertie de l’État profond». Comment expliquez-vous son échec ?

Pourquoi autant de présidents de la République successifs se sont heurtés aux mêmes difficultés et ont échoué ? C’est la vraie question. Parce qu’il n’y a pas de redressement possible d’un pays qui s’enfonce dans la décadence si vous ne commen­cez pas par faire sauter les verrous. C’est Auguste qui sort la République romaine de l’anarchie ; c’est Louis XI qui met à bas les puissances féodales et permet la Renaissance française ; c’est encore le général de Gaulle en 1958 qui comprend qu’il faut sor­tir de la IVe République, parce que sinon, tout général qu’il est, lui aussi sera réduit à l’impuissance comme il en a fait l’expérience en 1946. Tout commence par-là : faire sauter les verrous de l’impuissance.


Et vous seriez l’homme qui ferait sauter ces verrous ?

Ma force, c’est que, par ma formation et mes expériences, je connais par­faitement les rouages de la machine et ce qui a fini par la bloquer. Et c’est parce que je les connais que je peux les déverrouiller. On m’a dit maintes fois qu’avec mon parcours person­nel et académique, il ne fallait pas remettre en question le fonction­nement de notre système politique et administratif. Hier, il n’était pas sérieux, me disait-on, de dénoncer les dérives de l’assistanat, puis il ne fallait pas questionner l’incapacité de l’Europe à défendre ses entre­prises ; aujourd’hui, il ne faudrait pas contester les dérives des Cours suprêmes. Je le dis simplement : ce n’est pas parce qu’on a fait Normale Sup’ qu’on est condamné à être un disciple de Jacques Attali. Et même au contraire !


D’autres, à droite, font exactement le même constat que vous. En creux, qui visez-vous : Marine Le Pen qui affole les sondages ?

Face à l’impuissance, ce n’est pas en essayant l’incompétence qu’on va s’en sortir. Marine Le Pen pros­père sur ce sentiment de colère que l’impuissance accumulée depuis des années n’a fait que renforcer. Mais elle n’a aucune proposition claire. Elle qui n’a même pas géré une commune de 500 habitants serait incapable de secouer les blo­cages de l’État profond. Il faut à la fois de la détermination, une vraie liberté intellectuelle, mais aussi la connaissance de ce qui bloque de l’intérieur notre pays.


Aucun président élu n’a eu ce procès préalable en incompétence, et le résultat est le même apparemment. Vous semblez plus critique à l’encontre d’une Marine Le Pen qui n’a jamais exercé le pouvoir qu’à l’endroit d’Emmanuel Macron...

Vous pensez sérieusement qu’on peut devenir président de la Répu­blique sans jamais avoir géré, sans jamais avoir essayé, échoué, appris ? Cette expérience est fon­damentale. Ça ne s’improvise pas. Pour Emmanuel Macron s’ajoute un problème consubstantiel à son approche de la politique, le «en même temps». Quand pour l’Édu­cation nationale se succèdent des personnalités aussi différentes que Jean-Michel Blanquer, Pap Ndiaye, Gabriel Attal, Amélie Oudéa- Castéra, pour finir avec Nicole Bel­loubet, incarnation de la pensée de la déconstruction, c’est qu’il n’y a pas de cap. Mais pourquoi mon propos essaye d’aller au-delà de la personnalité d’Emma­nuel Macron ? La réponse la plus facile est de se contenter de faire des critiques sur les personnes, en passant à côté de l’essentiel, et donc des réponses. La crise de la démocratie est d’abord une crise de l’efficacité. Les Français sont en colère parce qu’ils votent pour des élus qui votent pour des lois qui ne sont jamais appliquées. Le nœud gordien que l’on doit trancher, c’est celui-là. La France doit retrouver sa capacité d’agir.


Vous avez peu parlé de l’Union européenne, de la Commission européenne. Ne pèsent-elles pas lourd dans la restriction du champ d’action du politique français ?

Il y a dix ans, j’ai écrit un livre, Europe : il faut tout changer, sur la nécessité de garder l’ambition européenne mais de repenser tota­lement son fonctionnement. Pour autant, je crois que nos problèmes sont d’abord liés à une dérive française plus qu’européenne. Je vois, au moment où s’amorce la campagne des européennes, trois positions bien distinctes. La pre­mière, c’est celle du RN pour lequel l’Europe est la source de tous nos maux, moins d’Europe et tout ira mieux. C’est une profonde erreur : le Danemark a divisé par trois sa politique migratoire...


... sans avoir ratifié Maastricht avant d’obtenir des dérogations...

Oui et regarder le beau résultat du Royaume-Uni depuis sa sor­tie de l’Europe : effondrement de l’économie et explosion de l’immigration. Il y a des choses à corriger en Europe, mais il faut d’abord nettoyer sa propre mai­son. La position inverse est celle d’Emmanuel Macron : l’Europe solution à tout, quitte à sacri­fier les intérêts français. Notre position est différente : oui, nous avons besoin de l’Europe mais il faut défendre les intérêts de la France en Europe. C’est ce que porte François-Xavier Bellamy avec conviction.


En plus de la défense des intérêts, il y a désormais celle des «valeurs». La Commission européenne, mettant à l’amende des pays qui ne respecteraient pas les siennes – sans définition précise –, les impose d’autorité... Est-ce légitime ?

Tout se tient. Faire sauter les verrous de l’impuissance pour reprendre la maîtrise de notre destin, recons­truire notre dynamisme économique pour avoir la puissance de défendre nos valeurs. N’était-ce pas cela le projet initial de l’Europe sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale ? Au lieu de laisser nos valeurs et notre énergie être détruites de l’intérieur, il faut les retrouver. Marcher sur ces deux jambes : restaurer l’autorité et le respect, retrouver notre dynamisme par la reconnaissance de l’effort. En un mot, reconstruire. Je ne connais pas de plus beau projet.


Repris du journal du dimanche du 18 février 2024