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VI­GILANCE & AC­TION - N° 364 NOVEMBRE 2017


«ECRITURE INCLUSIVE», 

PROSCRIPTION DE L'ACCORD AU MASCULIN :

Quand les bornes sont franchies, il n'y a plus de limites

par Jacques ROUGEOT,

professeur émérite à la Sorbonne, vice-président du MIL



Cette forte sentence du Sapeur Camember, autrefois citée par le président Pompidou lors d'une conférence de presse élyséenne, vient tout naturellement à l'esprit quand on se penche sur la question de l'écriture dite inclusive et autres extravagances linguistiques. Ces bornes qui sont franchies, ce sont celles de l'absurde, au point que, comme le remarque un académicien, on se sent humilié d'avoir à réfuter sérieusement ce qui devrait apparaître comme de la bouffonnerie. Mais en fait, ce qui peut donner matière à réflexion, ce ne sont pas les acrobaties graphiques, c'est le fait qu'elles soient prises au sérieux et qu'elles fassent l'objet de commentaires infinis et même d'un communiqué de l'Académie française. Ce qui nous intéressera principalement, c'est que nous sommes en présence d'une sorte de phénomène social qui illustre bien les diverses déviances qui marquent notre époque.


L'objectif de l'écriture «inclusive», c'est d'assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes. Le moyen, c'est de faire apparaître systématiquement, dans la forme et dans la structure des mots que l'on emploie, la présence des femmes lorsque les termes sont susceptibles de s'appliquer à la fois aux hommes et aux femmes. Ainsi, Montaigne ne pourrait plus critiquer l'indulgent lecteur, il devrait s'en prendre à l'indulgent-e lecteur-ice. De même, Victor Hugo ne pourrait pas proclamer que « le jeune homme est beau, mais le vieillard est grand », car il serait coupable de sexisme en semblant réserver la beauté et la grandeur au sexe masculin. Il devrait donc dire que le-la jeune homme-femme et beaux-lle, mais le-la vieillard-e est grand-e.


La représentation graphique devient encore plus compliquée quand il s'agit de pluriels, puisqu'il faut d'abord féminiser le mot, puis faire apparaître l's du pluriel, qui est commun aux deux formes. Qu'à cela ne tienne, l'ingéniosité est sans limite. On aura donc recours au «point milieu» qui, en toute simplicité, aboutira à la graphie : les lecteur-rice.s.


Ne nous attardons pas sur l'impression burlesque que produisent de tels exercices et n'ironisons pas trop sur l'opportunité de faire entrer de telles acrobaties verbales dans la tête d'élèves qui ignorent les règles les plus élémentaires de la grammaire, que d'ailleurs on ne leur apprend pas. Il est plus intéressant d'essayer de voir ce que cette nouvelle «écriture» a de particulier.


Si on la replace dans l'histoire de la langue, il faut constater qu'elle représente un phénomène radicalement inédit : la tentative, de la part d'une force extérieure, d'imposer à la langue des règles structurelles, de façon à se servir d'elle comme un instrument pour atteindre un objectif qui n'a rien de linguistique. Dans le cas présent, la force extérieure est l'idéologie féministe et l'objectif est d'assurer l'égalité des représentations entre les hommes et les femmes. C'est donc une sorte de coup de force par lequel on fait violence à la langue française.


Si l'on voulait trouver un précédent, on serait tenté de penser au XVIIème  siècle, époque où l'on se figure que la langue était particulièrement encadrée, voire surveillée. Or, le contraste avec l'opération idéologique d'aujourd'hui est très instructif. La principale autorité linguistique était Vaugelas, qui s'efforçait d'établir quel était le bon usage en la matière et qui, pour cela, examinait au cas par cas les diverses tournures employées et choisissait, souvent de façon nuancée, celles qui lui paraissaient les plus appropriées. Quant à une éventuelle ingérence extérieure, elle n'aurait pu venir que du roi. En fait, au contraire, il était couramment admis que celui-ci, en tant que monarque absolu (mais non autocrate tyrannique) avait beaucoup de pouvoirs sur ses sujets, mais n'avait aucune autorité sur la langue. Il ne serait d'ailleurs pas venu à l'esprit de Louis XIV d'imposer quoi que ce soit dans ce domaine.


Outre sa complication déconcertante, l'écriture inclusive présente une autre particularité, source de difficultés pratiques : pour la première fois dans l'histoire de la langue française, elle instaure délibérément une coupure radicale et systématique entre l'écrit et le parler. On peut lire à haute voix, de façon continue, n'importe quel texte, puisque à chaque mot écrit, isolé ou inséré dans une construction syntaxique, correspond une prononciation (sans d'ailleurs qu'il s'agisse d'orthographe phonétique). Alors qu'avec l'écriture inclusive, c'est impossible en pratique. Si l'on prend une expression aussi simple que, par exemple, «l'avis du lecteur», personne ne va prononcer «l'avis du-de la lecteur-rice». Il faut paraphraser, développer, trouver une sorte d'équivalent, tel que «l'avis du lecteur ou de la lectrice».


Pourquoi donc inventer une forme d'écriture qui transforme toute rédaction ou prononciation d'un texte en parcours du combattant ? La raison de fond (on y reviendra) est d'ordre idéologique, mais la solution choisie repose sur une idée fausse, une ignorance, un défaut d'intelligence : la confusion entre le sexe et le genre grammatical, d'où l'on conclut qu'une personne de sexe féminin doit être désignée par un terme grammaticalement féminin. Cet automatisme est démenti par les faits dans les deux sens. On cite souvent des exemples du vocabulaire militaire, tels que sentinelle, ordonnance ou estafette, substantifs féminins désignant des hommes. On pourrait en citer d'autre. En musique, une basse est toujours un homme, alors qu'un soprano est généralement une femme et que dire de vagin, masculin grammatical pour désigner un organe féminin ou de verge, qui présente un cas symétrique ?


L'ardeur féminisatrice sévit fortement dans la désignation des habitants de certains lieux (villes, pays, continents). Il est vrai que, dans ce cas, c'est la forme masculine qui désigne l'ensemble des personnes : les Lyonnais, les Italiens, les Américains. Mais, en réalité, psychologiquement, bien loin que ces termes convertissent à la masculinité les éléments féminins, ce sont eux qui perdent leur spécificité masculine en s'appliquant aux éléments féminins. Par exemple, si l'on dit que Madame Hidalgo est une calamité pour les Parisiens, y a-t-il un seul abruti pour penser que cette expression pourrait éventuellement signifier que cette dame est une bénédiction pour les Parisiennes ? Pourtant, on se croit de plus en plus obligé de dire «les Parisiens et les Parisiennes», en attendant de devoir écrire «les Parisien-ne.s». Cette façon de chausser notre langue de gros sabots en lui faisant préciser ce qui était toujours allé de soi porte un nom : cela s'appelle de la stupidité. On disait naguère encore, avec quelque complaisance, que les Français étaient le peuple le plus spirituel de la terre. Si l'on veut se mettre au goût du jour, il faudra écrire désormais que les Français sont devenu-e.s sinistrement balourd-e.s.


En guise de lot de consolation, peut-être aurons-nous droit à quelques épisodes comiques. Avec le coup de l'écriture inclusive, les féministes ont mis en branle une mécanique folle qui va donner raison au Sapeur Camember. En effet, les LGBT ne trouvent pas leur compte dans l'opération, surtout les B et les T (les bi et les trans). Ils étaient jusqu'alors un peu en terrain neutre avec un masculin à tout faire. Les voilà maintenant ramenés dans une logique binaire : on fige dans la langue la division de l'humanité en deux sexes. Imagination fantasmatique ? Non pas, puisque, dans une université américaine, cette intéressante catégorie de la population étudiante s'est plainte comme une atteinte à son identité d'avoir à choisir entre les toilettes pour femmes et les toilettes pour hommes.


Autre terrain de l'offensive féministe. Récemment, un certain nombre d'enseignants ont publié sur le site Slate une déclaration au ton solennel intitulée : «Nous n'enseignerons plus que «le masculin l'emporte sur le féminin»» (dans les accords entre plusieurs substantifs et les adjectifs ou les participes passés). La règle actuelle, selon eux, conduirait les femmes à «supporter les coups» des hommes «s'il est admis au plus haut niveau que le masculin l'emporte sur le féminin» [sic].



Cette fois-ci, la manipulation est double : confusion explicite entre le genre grammatical et le sexe, interprétation grossièrement abusive du verbe «l'emporter sur», alors qu'il s'agit d'une simple règle d'accord conventionnelle et simplificatrice.


Comme solutions de substitution, ces bonnes gens proposent «l'accord au choix» (c'est-à-dire faire n'importe quoi) ou «la règle de proximité», au merveilleux pouvoir magique. Si, au lieu d'écrire «les pamplemousses et les oranges sont mûrs», vous écrivez «les pamplemousses et les oranges sont mûres», vous contribuez à faire en sorte que les femmes ne supportent plus les coups des hommes. Stupidité ? Mauvaise foi ? Délire grotesque ? Réponse au choix.


Il n'empêche que ce qui aurait paru incongru, absurde, délirant, il y a des décennies, voire quelques années, s'invite à part entière dans les débats les plus sérieux et peut même se réaliser dans les faits. Comment en est-on arrivé là ? Ce n'est évidemment pas par hasard, c'est le résultat de stratégies aux formes diverses, mais aux effets convergents. Ces stratégies sont souvent redoutablement efficaces parce qu'elles se déploient sur un terrain qui a subi un pilonnage idéologique intense et systématique effectué essentiellement par l'artillerie des médias.


Il faudrait au moins tout un traité pour analyser ce pilonnage. En schématisant outrageusement, on peut dire qu'il a pour objectif d'ébranler les fondations et les structures de notre société, de notre civilisation multiséculaire, avec ses racines chrétiennes et ses composantes gréco-latines. Il s'agit essentiellement de nous donner mauvaise conscience en nous persuadant que nous sommes historiquement coupables et que nous devons expier l'oppression que nous avons fait peser sur d'autres.


Au premier rang de nos victimes, les populations que nous avons colonisées, dont les descendants ont sur nous une créance que nous ne pourrons jamais rembourser et sont ainsi soustraits à notre esprit critique. Un exemple caricatural est fourni par cette organisation qui s'est donné pour nom le CRAN : Conseil représentatif des associations noires. On donne abondamment la parole à son représentant, on prend gravement en considération ses demandes les plus extravagantes, comme de débaptiser tout ce qui porte le nom de Colbert, alors que nous sommes en présence d'une pure et simple imposture qui est contenue dans son nom même. Ce nom nous indique qu'il s'agit d'une organisation communautariste fondée sur un critère racial. Il serait plaisant de voir comment serait accueilli un conseil des associations blanches. Il se réfère à des «associations noires». Quelles sont ces associations dont on n'a jamais entendu parler par ailleurs ? Il prétend s'appliquer à un « conseil représentatif » de ces mystérieuses associations : Comment cette représentativité est-elle établie et vérifiable ? Jamais ces questions toutes simples ne sont posées à cet intéressant personnage, qui prétend tout simplement imposer une réécriture de l'histoire de France conforme aux critères définis par lui.


L'autre catégorie de victimes historiques est constituée par les femmes. Cette représentation caricaturale des rapports humains est particulièrement pernicieuse, puisqu'elle vise à faire passer une moitié de la population dans le camp de ceux qui veulent ébranler, et même abattre, la société française multiséculaire, ce qui est bien l'objectif de l'offensive idéologique dont nous avons parlé.

Reste à examiner le modus operandi, la façon d'agir de ces groupes. Question intéressante, car on constate une disproportion considérable entre les forces qu'ils représentent réellement et la place qu'ils tiennent dans le débat public, dont dépend l'influence qu'ils peuvent exercer. Dans le cas des LGBT, non seulement les homosexuels ne représentent qu'une faible proportion de la population, mais ils sont loin de tous se reconnaître dans les positions proclamées. Le CRAN n'a qu'une existence verbale et la plupart des femmes n'ont rien à voir avec les féministes omniprésentes et vociférantes. Mais ce qui multiplie l'influence de ces groupes par rapport à leur poids réel, c'est qu'ils agissent, selon le principe du levier, en véritables lobbies.


Un lobby est un groupe relativement restreint qui tire sa force essentiellement de deux sources. D'une part, en prétendant péremptoirement et abusivement parler au nom de toute une catégorie majoritairement passive et silencieuse, il se pare frauduleusement des forces de cette catégorie et réussit à persuader de sa fiction un certain nombre de gens. D'autre part, un lobby qui fait bien son travail exploite à fond le principe de concentration. Il choisit un aspect de la réalité qu'il estime lui être favorable et il dirige obsessionnellement les regards des autres sur cet aspect comme s'il s'agissait d'un problème essentiel et urgent qu'il faille régler au plus vite dans le sens souhaité.

L'angle de la langue, choisi par les féministes radicales, est, de leur point de vue, particulièrement intéressant. D'une part, il permet d'attribuer à la langue une fonction sinon exclusive, du moins essentielle et prioritaire, celle d'affirmer en toute occasion la place que doivent tenir les femmes. Bien entendu, c'est un objectif totalement arbitraire, car la langue est l'un des attributs les plus complexes et les plus riches de la condition humaine. Mais en braquant constamment et exclusivement une lumière intense sur le même objet, on peut empêcher le public de voir tout le reste. Dès lors, c'est la langue elle-même qui est sommée de s'organiser en fonction de cet objectif et l'écriture inclusive permet d'atteindre cet objectif fixé par des monomaniaques. Certes, elle présente des inconvénients, elle est compliquée, etc. Mais tant pis. Comme le dit l'un de ses adeptes, «c'est une condition nécessaire pour faire advenir la pleine égalité».


Phase révélatrice : le véritable objectif de l'action sur la langue n'est pas d'ordre linguistique, mais d'ordre idéologique et social. La langue est à la fois un instrument et un aliment de la pensée, au sens large du terme. Elle a pour fonction de l'exprimer, mais en retour, elle l'influence, elle l'oriente, elle le façonne. En agissant sur elle de façon systématique et orientée, on agit sur toute la personne, sur toutes les personnes, et finalement sur la hiérarchie des valeurs d'une société.

Il y a dans toute cette entreprise, on l'a vu, une bonne part d'ignorance et un défaut d'intelligence. Dès lors, quand on est une grenouille et qu'on se croit aussi grosse qu'un bœuf, quelle sensation exaltante que de détenir un tel pouvoir, et qui plus est un pouvoir officiel.


La librairie Hatier, qui publie un manuel scolaire respectant l'écriture inclusive, se réclame d'une préconisation du Haut Comité pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Bien entendu, tous les comités de ce genre sont qualifiés de hauts, mais celui-ci, comme les autres, ne détient aucune autorité légale ou légitime pour légiférer sur la langue. Il n'est qu'un des nombreux «comités Théodule», déjà brocardés par le général de Gaulle. On a les cautions que l'on mérite.


Comme il arrive souvent en d'autres matières, cette première atteinte portée à la langue française ouvre la voie à d'autres mauvaises actions. On apprend maintenant sans surprise qu'un certain nombre de professeurs ont décidé de ne plus respecter l'une des règles de base de l'orthographe, à savoir l'accord au masculin des adjectifs se rapportant à plusieurs substantifs de genres différents. Le Sapeur Camember nous apprend qu'il n'y a aucune raison de s'arrêter en si bon chemin, l'aboutissement étant sans doute le charabia anarchique qu'on voit se répandre dans le SMS. Résultat : un clan dans lequel plus personne ne comprend ce qu'il lit. Tout cela, bien entendu, à l'ère de la toute-puissance de la communication.


L'un des mots-clés de notre époque, c'est le dérèglement. À cet égard, l'introduction de l'écriture inclusive, avec les autres atteintes à la langue qui en sont la suite, a quelque chose d'emblématique, car le merveilleux instrument qu'est la langue française peut servir au dérèglement de l'esprit s'il est ainsi dénaturé. Ce dérèglement peut prendre la forme de l'ignorance, de la sottise pure et simple, mais il peut aussi véhiculer une logique idéologique au service d'un égalitarisme écrasant, une logique folle qui récuse le bon sens de la nature, la réalité humaine et qui, en suivant sa perte, débouche tout naturellement sur l'exercice d'un pouvoir à visée totalitaire qui dépasse de beaucoup le domaine linguistique.



  

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