MOUVEMENT INITIATIVE ET LIBERTE

www.lemil.org


Transférer ce texte à une personne

Imprimer cette page

*****



VI­GILANCE & AC­TION - N° 387  FEVRIER 2019



FAUT-IL REFORMER LA Vème REPUBLIQUE ?

par Bernard ACCOYER,

ancien Président de l'Assemblée nationale

intervention lors du Colloque des anciens députés gaullistes qui a eu lieu le 4 juin 2018 sur le thème «60 ans après le retour du Général de Gaulle au pouvoir»


Poser cette question à des Gaullistes peut naturellement entraîner un non catégorique.


Pourtant, le Général lui-même n'a cessé de s'adapter et d'adapter notre législation aux contraintes du moment.


Il n'est pas discutable ni discuté que la Vème République a apporté à la France les conditions institutionnelles démocratiques de stabilité et d'efficacité qui lui ont permis de sortir des pires crises qui la menaçaient : conflit algérien, décolonisation, faillite des finances publiques, de se moderniser et de retrouver son rang dans le monde. La Vème a aussi permis à la France de traverser les alternances politiques et les cohabitations sans blocage ni crise institutionnels, malgré les choix électoraux variés qu'ont fait nos compatriotes durant 60 ans.


De Gaulle avait parfaitement identifié les faiblesses de la IIIème et de la IVème. Il les avait vécues douloureusement comprenant, avant et mieux que tous, vers quels malheurs elles conduisaient la France et le monde.


La France, impuissante de la IIIème République incapable de garder un cap politique ou diplomatique, incapable de traduire dans ses décisions les initiatives à prendre face à la montée menaçante du fascisme. La France, impuissante de la IVème République avec ses partis charnières, ses 164 questions de confiance en 11 ans, incapable de se réformer pour surmonter les défis de l'après-guerre et les soubresauts indépendantistes sanglants dans ses colonies. La IIIème et la IVème République dont la durée de vie moyenne des gouvernements n'atteignait pas six mois.


Elu Président, avec les constituants de 58, au premier rang desquels Michel Debré, de Gaulle a donc doté la France d'une loi fondamentale avec laquelle l'exécutif peut gouverner tant qu'il garde la confiance de l'Assemblée nationale, et même si celle-ci venait à lui manquer, l'article 49-3 de la Constitution lui permettait de continuer son action.


Des présidents de la République et des premiers ministres de droite et de gauche ont utilisé tous les moyens de ce fameux parlementarisme rationnalisé (Raymond Barre 8 fois, Michel Rocard 28 fois).


Mais depuis 58, 24 révisions constitutionnelles ont été conduites. Trois me paraissent avoir été majeures : Celle de 1962 avec l'élection du Président de la République au suffrage universel, celle de 2000 avec le quinquennat et celle de 2008. Si les deux premières ont renforcé la présidentialisation du régime, la troisième a renforcé les droits du parlement.


Personnellement, je ne pense pas que le quinquennat et la synchronisation des élections législatives ait été une bonne réforme. Même si Jacques Chirac l'a acceptée, quelque peu contraint, cette réforme n'était pas d'essence gaulliste puisque l'on se souvient que trois personnalités politiques en étaient à l'origine : Valéry Giscard d'Estaing, François Bayou, et Lionel Jospin.


Trois hommes, deux centristes, un socialiste, aucun n'épousait vraiment l'imprégnation gaullienne de la Vème.


Aussi, je crois profondément, qu'aujourd'hui, les principes et l'équilibre de notre loi fondamentale ne doivent pas être remis en cause. Mais que si des ajustements, portant sur sa mise en œuvre, peuvent s'envisager, ils sont pour la plupart de niveau législatif ou concernent le règlement des assemblées.


J'insiste sur le moment aujourd'hui : je le fais en raison du contexte géopolitique mondial, du contexte européen et du contexte politique national. Je les juge tous trois dangereux.


Sur le plan géopolitique, la fin du communisme, la mondialisation ont dessiné un monde nouveau multipolaire, où les menaces militaires parfois, mais surtout les menaces migratoires économiques, sociales, civilisationnelles comme environnementales sont évidentes. Le terrorisme en est une des expressions.


Sur le plan européen, la crise n'a jamais été aussi grave depuis le Traité de Rome il y a un demi-siècle. Les peuples des démocraties européennes, les uns après les autres, disent leurs désaccords avec une Europe trop technocratique qui est davantage un vaste marché qu'un ensemble protecteur face aux menaces du moment telles que l'immigration, la désindustrialisation, le chômage et le déclassement.


Sur le plan national enfin, l'éclatement du paysage politique, la montée des extrêmes, qui, à eux d'eux, ont réuni une majorité relative des suffrages au premier tour des élections législatives, rendent encore plus précieuses des institutions efficaces, servies par un mode de scrutin législatif qui offre la meilleure, bien qu'incomplète, protection contre une assemblée ingouvernable.


Ce qui se passe en Allemagne, en Autriche, en Italie, en Espagne probablement, démontre combien la proportionnelle comme les grandes coalitions de droite et de gauche conduisent, mécaniquement, à la montée des extrêmes jusqu'au pouvoir. Méconnaître l'histoire tragique du XXème siècle, ne pas voir ce qui se passe presque partout en Europe, serait prendre une bien lourde responsabilité. Ce serait une faute aux conséquences incalculables.


S'il ne faut pas toucher aux fondements de la Vème, il ne faut pas non plus en déséquilibrer le fonctionnement ou en rigidifier les dispositions qui se sont révélées, au fil du temps, au fil des mandats présidentiels successifs, des législatures d'une souplesse remarquable.


Or les mesures annoncées, les textes adoptés en Conseil des ministres me paraissent, à bien des égards, dangereux par les conséquences évidentes qu'ils auraient s'ils venaient à s'appliquer.


Le projet de loi constitutionnelle, en supprimant la Cour de justice de la République, conduirait à placer le pouvoir exécutif sous le contrôle du pouvoir judiciaire. Cela est évidemment dangereux. Pour nous gaullistes, c'est inacceptable.


Inscrire dans la Constitution une spécificité pour ce territoire métropolitain, bien qu'insulaire qu'est la Corse, constituerait une brèche dans l'unité nationale. C'est évidemment dangereux. Pour nous gaullistes, c'est inacceptable.


Inscrire dans la Constitution un objectif politique, fusse-t-il la lutte contre le réchauffement climatique, ne relève pas de la loi fondamentale, mais d'une posture politique ouvrant la voie à d'innombrables dérives interprétatives et autant de contentieux devant les juridictions. Cette initiative est de la même veine que l'élévation au niveau constitutionnel du principe de précaution en 2005. Ces deux inscriptions, d'ailleurs, répondent aux pressions de la même personnalité, jadis vedette médiatique, aujourd'hui caution environnementaliste du gouvernement. Une fois encore, la France, prétendant aller plus loin que tous dans la vertu, met elle-même sur sa route un nouveau piège.


Restreindre le droit d'amendement, exonérer de débat en séance plénière des dispositions législatives au prétexte d'un examen approfondi en commissions, restreindre le rôle du bicamérisme, reprendre aux assemblées les avancées acquises lors de la réforme de 2008 pour leur ordre du jour et leurs initiatives parlementaires, tout cela constitue une atteinte au droit du Parlement. Ce serait la première régression parlementaire depuis 1958 et les vingt-quatre révisions constitutionnelles. Ces mesures déséquilibreraient encore davantage le régime «mi-présidentiel, mi-parlementaire» tels que le reconnaissait le Général lui-même.


Le projet de loi organique prévoit la diminution, d'environ un tiers, du nombre de parlementaires, la limitation à trois mandats successifs pour les parlementaires et les présidents d'exécutifs locaux. En cela il constitue une atteinte à une liberté de choix des citoyens comme des élus et conduirait à la promotion d'une nouvelle espèce de personnel politique : attachés parlementaires, collaborateurs de cabinet et autres apparatchiks devenant des professionnels seuls autorisés à faire de la politique durablement.


Le projet de loi ordinaire, quant à lui, prévoit d'introduire l'élection au scrutin proportionnel pour 15 % des députés auquel il faut ajouter les députés des Français de l'étranger, soit au total 17 % de l'Assemblée nationale. Cette initiative, prétendant mieux représenter les différentes opinions, est extrêmement dangereuse pour la gouvernance des assemblées et la stabilité politique. Elle peut et pourra immanquablement, tôt ou tard, conduire à des crises politiques et institutionnelles paralysantes.


En ajoutant à la diminution du nombre de parlementaires l'élection de près de 70 députés à la proportionnelle avec l'élection d'au moins un député par département, chaque circonscription comptera environ 200.000 habitants, une hausse de 80 % plaçant la France au dernier rang des grandes démocraties européennes quant à la densité de sa représentation démocratique parlementaire. Le fossé déplorable qui existe hélas déjà entre les citoyens et leurs parlementaires ne pourrait que s'approfondir. Quant aux élus de la proportionnelle, sans attache territoriale, ils risqueraient fort d'apparaître surtout comme les élus des fauteuils rouges de l'hémicycle que tout opposerait aux députés du scrutin direct issus du terrain. Ce serait un éloignement supplémentaire entre les citoyens et leurs représentants nationaux.


On voit déjà que l'interdiction de cumuler un mandat national et une présidence d'exécutif a propulsé à l'Assemblée nationale une nouvelle majorité dont le plus grand nombre est sans expérience ni connaissance des collectivités locales, c'est-à-dire du cadre de vie des citoyens.


Alors me direz-vous vous voulez que rien ne change ! Ce n'est pas mon avis.


Je pense qu'un ministre ne peut pas simultanément être président d'un exécutif local, tout comme je pense qu'il n'était guère judicieux de rendre de droit le retour au Parlement d'un ministre démis de ses fonctions.


Je pense que les propositions de loi inscrites à l'ordre du jour, les amendements surtout gouvernementaux devraient être accompagnés d'une étude d'impact telle que la révision de 2008 l'a imposée pour les projets de loi. Je pense que le temps législatif programmé, introduit dans le règlement de l'Assemblée en 2009 grâce à une accroche constitutionnelle, permet de maîtriser raisonnablement le dépôt et surtout l'examen d'amendements trop nombreux sans porter atteinte aux droits fondamentaux des parlementaires. N'oublions pas que le temps législatif programmé a permis de faire disparaître les interminables manœuvres d'obstruction parlementaire qui affaiblissaient le parlement lui-même depuis la première alternance en 1981. Je suis convaincu que le contrôle et l'évaluation des politiques publiques par les assemblées, qui disposent pour cela depuis 2008 d'une semaine d'ordre du jour par mois, devraient être beaucoup plus opérationnels et que le suivi des recommandations devrait être effectif. Le Comité d'évaluation et de contrôle (CEC), instauré en 2009 dans ce but, peut parfaitement répondre à cet objectif largement partagé.


Enfin, les textes doivent être moins nombreux et mieux écrits et ce n'est pas en accélérant les procédures et en diminuant les navettes que nous légiférerons mieux. Comme le disait Guy Carcassonne « ce qui manque au parlement français, ce ne sont pas des pouvoirs nouveaux, mais la volonté de bien exercer ceux qu'il détient déjà ».


En conclusion : je crois profondément, Chers Compagnons, que la Vème n'a pas besoin d'être réformée et que seuls quelques ajustements de son usage pourraient être utiles. C'est dans ce contexte que le Président de la République et le gouvernement portent une révision fourre-tout aux relents populistes, bref, tout le contraire de la Vème.


LES COMMUNICATIONS ÉCRITES DU M.I.L

LA CONSTITUTION SELON MACRON, VERS UNE ATTEINTE AUX INSTITUTIONS

Communication du MIL du 22 mars 2018


Repère : Macron prépare un projet de réforme de la Constitution, il est en cours de finalisation et la version définitive du texte n’est pas encore connue.


Le projet de révision de la Constitution pourrait comporter au moins une quinzaine de sujets sans rapport entre eux. Cela irait notamment de l’«inscription de la Corse» dans la Constitution et de celui du «développement durable» en passant par une forte réduction du nombre des parlementaires, la suppression de la présence des anciens présidents de la République au Conseil Constitutionnel, une réforme du Conseil supérieur de la magistrature, une réduction du nombre d’amendements possibles déposés par les groupes sur un projet de loi, l’introduction d’une «dose de proportionnelle» aux législatives. Certaines propositions sont anecdotiques, tandis que d’autres posent de très sérieux problèmes. Aucune ne répond à une urgence institutionnelle réelle puisque nos institutions fonctionnent.


Le Mouvement Initiative et Liberté (MIL) réaffirme son profond attachement aux institutions de la Vème République et confirme son opposition aux partisans de la «VIème République».


Le Mouvement Initiative et Liberté (MIL) se positionne contre un projet «fourre-tout» de réforme de la Constitution. L’absence d’un projet clair rend impossible de juger d’un bloc un lot de mesures autrement qu’en soutenant un «NON» aux modifications constitutionnelles dans leur ensemble au Parlement ou à l’occasion d’un référendum.


En particulier, le Mouvement Initiative et Liberté (MIL) condamne toute introduction d’une «dose de proportionnelle» pour l’élection des députés. Il se prononce contre un retour même partiel à un régime des partis. L’exemple des pays voisins, dont les crises politiques internes ont bloqué le fonctionnement des institutions ces dernières années, suffit à prouver la qualité des institutions de la Vème République mises en place par le Général de Gaulle.


La Belgique est restée sans gouvernement pendant plus d’un an, l’Espagne est en situation instable, l’Allemagne, après 6 mois sans majorité, dispose d’un gouvernement de coalition fragile et l’Italie est à la recherche d’une majorité introuvable. Ces situations s’expliquent par des institutions ayant recours à la proportionnelle.


Par ailleurs, même si ces sujets n’ont pas la même acuité, une forte réduction du nombre de parlementaires ne se justifie aucunement. Elle aurait comme conséquence de faire disparaitre une bonne part de la proximité entre un parlementaire et son territoire. Par ailleurs, elle réduirait la possibilité d’une représentation spécifique locale ; par exemple, des départements resteraient sans sénateur. Enfin, la réduction à trois mandats du nombre des mandats d’un élu apparaît contraire au libre choix des électeurs qui doivent pouvoir choisir leur candidat.


Le Mouvement Initiative et Liberté (MIL) estime que «la réforme pour la réforme» apparaît comme une fin en soi pour Macron. La démarche adoptée obéit simplement à une logique de communication politique visant à se donner une image de «réformateur progressiste» qui applique son programme électoral. Il parle ainsi de «big bang» ou de «révolution copernicienne» là où il ne fait qu’adopter quelques ajustements plus ou moins judicieux à la loi. C’est l’illustration d’une parfaite illusion.